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Critique de latina


latina
16 septembre 2017
« Je tremble, ô matador ». Oui, elle tremble, la « Folle d'en Face », ce travesti transi d'amour pour le beau et viril Carlos. Elle tremble d'amour, mais personne ne la comprend, car « les larmes d'une folle solitaire comme elle ne verraient jamais le jour, ne seraient jamais des mondes humides épongés par les mouchoirs absorbants des pages littéraires. Les larmes des folles avaient toujours l'air fausses, des larmes de crocodile, des pleurs de clown, des larmes frisottées, accessoires de scène pour jouer une émotion loufoque. »
Et pourtant ! Quelle émotion, quelle pudeur et quels emportements ! Etre aimé de cette façon, qui n'en rêverait pas...

Pedro Lemebel a placé l'histoire d'amour du travesti dans le Chili de Pinochet, ce pantin moustachu affublé d'une femme pleurnicheuse. La ville de Santiago, « un cobra grisâtre rampant sur des visages ternis par la peur quotidienne de la dictature », ainsi que le somptueux « Cajón del Maipo » servent de cadre au Front patriotique Manuel Rodriguez, groupe clandestin armé, qui prépare un attentat pour le 8 septembre 1986, mais qui échouera de justesse.
Ce roman plein de poésie et de tendresse, mais aussi de folie érotique, évoque à coups de sous-entendus la préparation de l'attentat, grâce notamment à la complicité discrète et toute en falbalas de la Folle d'en Face. Grâce à son amour, aussi, qui pardonne tout, qui accepte et qui attend, sans toutefois se cacher sous une tonne d'illusions. Il/elle prête sa maison pour que Carlos aux yeux de braise et à la bouche tentante y entrepose des armes, sous couvert de caisses de livres d'université. Jamais la vérité n'est révélée, jamais le mot cru « attentat » n'est prononcé. Simplement le mot de passe inventé par la Folle, « Je tremble, ô matador », révèle son état d'esprit fiévreux à Carlos.

La folle combinaison d'un langage cru et truculent avec la poésie la plus pure m'a envoûtée.
Ah que j'aime ces phrases : « Elle l'incendia d'un regard de forêt obscure », « Quelque chose dans l'âme de chienne triste de la Folle d'en Face se fragilisait, l'incertitude la transformait en étamine de tulipe »...
La narration plonge donc dans le plus intime de la Folle, y mêlant également des dialogues savoureux avec, en contrepoint grotesque, les cauchemars délirants de Pinochet et les monologues superficiels de sa femme (« Ce que les gens sont peu imaginatifs en matière de cadeaux. Les commandants et leurs épouses qui s'obstinent à t'offrir des livres. Franchement ! Comme si tu lisais ces collections d'histoire et de littérature toutes reliées et pleines de dorures. Cela dit c'est pas du toc, et puis ça donne un cachet intellectuel à la pièce, sans compter que ça va bien avec les cadres dorés des tableaux »).

La traduction en français de « Tengo miedo, matador » a été pour moi une lecture jouissive, pleine de sensualité et de lucidité, de poésie et d'exactitude historique.
Pourquoi pas lire la version espagnole, un jour ?
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