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Critique de Mermere


J'ai reçu ce livre dans le cadre de la masse critique de Babelio et j'avoue avoir été très agréablement surpris par ce roman. Je l'avais sélectionné sans grande conviction (de par son sujet : le deuil, la première guerre mondiale, autant de sujets dont on a été gavé jusqu'à la nausée durant ces périodes de commémoration) mais je l'ai finalement beaucoup apprécié.

En résumé : Ce roman m'a beaucoup plu et je me suis plongé dans l'histoire avec délectation. Hormis les toutes premières pages, j'ai adoré l'écriture de l'auteur et son regard à la fois cynique et ironique sur les personnages (j'ai adoré le style d'écriture qui fait revenir très régulièrement des détails sur les personnages ou bien tous les points communs entre les personnages à travers les générations, comme ceux qui s'endorment sur le perron de la maison parce qu'ils n'osent pas rentrer dans la maison). Ce livre est un arbre généalogique vivant et terriblement bouleversant. le dernier chapitre est très beau et très émouvant, notamment avec la chute époustouflante que je n'avais absolument pas vu venir.
Un livre à découvrir, assurément !!

Version longue : L'objet livre, en lui-même, m'a séduit dès le premier abord : un format poche (pour un prix qui ne l'est pas en revanche soit dit en passant…), une couverture très sobre et blanche, un papier très soyeux agréable au toucher pour un vrai plaisir de lecture. Pour moi les conditions étaient idéales pour débuter cette lecture.

L'histoire commence par la mort du capitaine Vernet, à la fin de la guerre, au printemps 1919. Dès les premières lignes, ma première (bonne) impression s'est un peu dissipée : j'avais beau lire et relire cette fichue première phrase, je n'arrivais pas à voir où voulait nous emmener l'auteur : « Une heure avant de mourir, le capitaine Alphonse Vernet comprit qu'il ne mourrait jamais. » Perdu dans cette oxymore, je ressassais et maugréais : mais où-suis-je tombé ? Dans un livre fantastique ? Dans un livre historico fantastique ? Comment ce personnage peut-il mourir sans jamais mourir ? J'ai continué ma lecture avec cette petite contrariété dans ma tête, espérant des explications à venir. Les premières pages ne m'ont guère aidé : on ne savait pas grand-chose de plus sur cette mort avérée ou non. Qu'est-il vraiment arrivé à ce personnage ? Mais bon sang il est mort ou pas ?

A ces questions sur l'histoire qui trottaient dans ma tête en arrière plan, je me suis retrouvé confronté dans les toutes premières pages à un style plutôt grandiloquent et trop riche qui freinait ma lecture. Et voici des brouettes d'adjectifs qualificatifs (attributs, épithètes, parfois plusieurs pour qualifier un même mot), et voilà des tartines de figures de style, et je vous resservirais quelques longues phrases aux élans proustiens… Il m'a semblé à c e moment là que l'auteur en faisait un peu trop : c'était sérieux et presque de l'ordre de l'exercice de style. Ma lecture avançait à petits pas…

Evidemment, au fil de la lecture, tout s'est mis en place. Par petites touches d'ironies, par petites touches d'humour (noir), par des répétitions de formules bien trouvées, par l'excellente présentation des personnages et de leurs manies, par la mise en place de la trame, par l'abandon du style grandiloquent et l'adoption d'un style plus débridé (allant jusqu'à l'emploi de mots comme « sexy » ( !!), l'auteur a su m'emporter dans l'histoire pour m'emmener jusqu'au bout, jusqu'à ce final époustouflant et cette chute incroyable qui nous fait voir l'histoire d'un oeil complètement différent. Et cette fichue première phrase qui m'avait tant gênée a finalement pris tout son sens, pendant le roman, mais encore plus avec ce dernier paragraphe bouleversant.

Oui, le capitaine Vernet comprit qu'il ne mourrait jamais… Car ce roman c'est l'histoire d'une attente interminable. Une attente qui se prolonge sur plusieurs générations et qui détruit toutes les vies. L'auteure montre bien comment la première guerre mondiale a détruit plusieurs générations en tuant les pères ou en les rendant absents. Pour Mathilde, les hommes ne sont d'ailleurs que « des femmes déguisées », il n'y a plus de vrais hommes. La famille Vernet est un véritable gynécée. de génération en génération, ce sont des enfants qui souffrent de l'absence de leur père et qui deviennent à leur tour des personnes bancales. J'ai beaucoup aimé cette idée qui est très bien retransmise dans le roman. La petite Claire, née à la fin des années 70, est l'illustration parfaite de l'enfant abandonné par son père et qui va chercher malgré tout à rétablir le contact.

Roman de l'attente aussi parce que les personnages ne meurent pas (excepté le capitaine Vernet, et encore…). A l'image de la vieille Anne Poplé d'Arbuisson qui traverse le siècle (je me demande bien quel âge elle a à la fin du roman !!), les personnages restent eux-mêmes et n'évoluent pas, restent enfermés dans leur univers clos (dans la famille de Mathilde on a même pas expliqué aux gamins qu'il y avait eu une deuxième guerre mondiale avec une occupation étrangère !!), univers composé de maisons avec des troènes, d'allées de pierres blanches, d'odeurs de parquet ciré et de prunes trop cuites. Cet ennui figé dans le temps, symbolisé par le bruit de fond de la machine à coudre et des armées d'abeilles vrombissantes, est magnifiquement rendu par l'auteur. Au cours du siècle d'ailleurs, ce sont les maisons et les objets qui se dégradent mais pas les personnages.

La galerie de personnages brossée par Anne Lemieux tout au long du roman est exceptionnelle. C'est l'une des choses que j'ai préférée dans ce livre. Sur quatre générations étalées au XXe siècle, l'auteure nous présente un véritable arbre généalogique truffé de détails sur chacun des personnages (détails qui reviennent régulièrement dans le roman sous forme de répétition comme pour montrer l'éternité de ce siècle). Il y a Anne Poplé d'Arbuisson la grand-mère, sourde comme un pot et aveugle, qui coud toute sa vie (des robes de deuil, des robes de mariées…), il y a Jeanne qui cire les parquets et cuit des prunes, il y a les trois filles Vernet ; Mathilde qui voit des zeppelins dans la tapisserie et attend le retour de son père, qui recopie le Code Napoléon sans ratures dans des petits carnets noirs, qui sait ce qu'il faut faire et ne pas faire, qui dort les yeux ouverts ; Elisabeth qui découpe des silhouettes dans les robes de deuil, Louise, laide et grosse, qui pleure tout le temps, qui sort des furoncles d'acné et dépèce des sonates au piano. Il y a Albert avec ses gestes en arabesques et aux mouchoirs noués aux quatre coins sur sa tête, un contemplatif qui peint des aquarelles et réfute les théories d'Einstein, il y a Georges qui a préféré rester prisonnier en Allemagne plutôt que de retourner au foyer où l'attendaient sa femme et sa fille, il y a Clément Dortu, le tuteur des filles Vernet, qui s'occupe des abeilles pour ne pas entendre le bruit de la guerre dans sa tête, il y a Pierre-Marie qui sort une chemise blanche en guise de reddition lorsqu'il entend du bruit autour de sa tente, en pleine nuit de noces… Tous ces détails précis et récurrents qui reviennent tout au long du roman m'ont beaucoup plu.

Le roman est finalement centré sur cette « énigme qui, depuis 1919, empêchait les vieillards de mourir et leurs descendants de vivre ». On va voir tout au long du livre combien la mort d'un père à la guerre de 1914-18 va entraîner de souffrances et de bouleversements pour les générations futures au sein d'une même famille. Pour l'auteure, « la défection des pères, l'absence des maris, avait commencé dans la boue de Verdun où s'étaient anéantis les principes du siècle. » L'émancipation des femmes, la disparition de l'autorité (paternelle), tous ces changements sociétaux ont commencé dès cette première guerre mondiale et la description de la famille Vernet à travers le XXe siècle rend très bien ce phénomène dans le livre, pour mieux expliquer notre société contemporaine.

La fin du livre est très belle et agrémentée d'une chute à laquelle je ne m'attendais pas du tout et qui m'a obligé à revoir l'histoire depuis le début. J'ai trouvé qu'une telle chute, dans un roman de près de 300 pages, dans le dernier paragraphe, était un pari très réussi et plutôt rare. J'ai beaucoup aimé la façon dont la chute est amenée tout au long du chapitre 5 : par petites touches, à plusieurs reprises, l'auteure nous parle d'une lettre écrite par Elisabeth mais elle oublie volontairement de nous en donner le contenu. Plusieurs fois je me suis dit « et la lettre au fait ? ». Evidemment, on découvrira le contenu de cette lettre avec grand étonnement… Je remercie sincèrement l'auteure pour cette belle chute très bien amenée.

Il y a énormément de choses à dire sur ce roman, beaucoup de détails qu'on aimerait garder, notamment sur les personnages. Comme Mathilde j'ai moi aussi rempli un petit carnet noir (Moleskine) de tous ces détails dont j'aimerais me souvenir. C'est difficile de parler de tout ce qui est abordé dans ce roman tant il est foisonnant.

Un roman poignant et fort à lire absolument. Merci la masse critique de Babelio pour m'avoir fait découvrir ce livre.
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