AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Christio


Plutôt qu'un polar, au sens strict du terme, ce roman est avant tout un drame social et profondément humain qui se lit, par petits épisodes, à l'instar d'un scénario de film. L'auteur plante ainsi le décor, rural et tout à fait grandiose, en y introduisant les différents personnages, puis nous plonge dans l'atmosphère menaçante puis explosive qui s'installe tout autour d'eux.

Nous sommes dans les collines du Massif Central, « un rude petit pays, couleur ocre et noir, qui sent la boue et les fumiers, la bouse séchée sur le bitume cabossé, qui sent la neige toute fraîche, qui sent les cailloux gelés et le bois mouillé ». C'est ici qu'ont choisi de venir se fondre dans le paysage quatre étrangers dont certains souhaitent faire table rase de leur ancienne vie et se construire une nouvelle existence, sans gêner personne.

Eli, seul avec tout ce qu'il porte en lui, est sur le point de mettre le feu à une ferme abandonnée où nous devinons qu'il avait envisagé de vivre avec la femme de sa vie et d'avoir des enfants. Ainsi commence l'intrigue.

Le capitaine Laurentin a choisi cette région pour finir sa carrière de gendarme. Cet homme est aussi un être cabossé par la vie : sa femme l'a quitté et il se remet mal d'une blessure à la jambe dont on n'aura pas plus de détails. Il sera chargé d'enquêter sur l'incendie et d'autres actes malveillants mystérieux, mais surtout de tenter de calmer les tensions entre les autochtones.

Louise s'occupe de chevaux dans la ferme d'un couple de retraités américains. Elle a quitté sa famille après avoir été abusée par une personne familière dont elle a décidé de taire le nom. Ce travail harassant lui convient ; elle se veut harassée et n'en demande pas plus. En dehors des Américains, elle ne voit quasiment personne et se reconstruit peu à peu en travaillant et en arpentant les montagnes où elle se sent si libre. C'est au cours d'une de ses expéditions qu'elle découvre l'incendiaire. Blessé et mutique, il est recueilli à la ferme où il commence à reprendre goût à la vie avec l'aide de Louise et de ses employeurs. Peu à peu, il parvient à s'endormir « épuisé chaque soir, en écoutant tomber les feuilles de ses arbres intérieurs ».

Dans cette campagne où les jeunes quittent le pays dès qu'ils le peuvent et où la population vieillit, vit également Lison, métisse à la peau plus foncée que les gens du coin, qui vient de perdre son mari. Jamais acceptée par sa belle-famille et observée par les voisins, elle est pourtant revenue vivre à la ferme avec lui. Désormais seule avec ses deux enfants, elle se pose des questions sur leur futur.

Les frères Couble sont bien des gens d'ici, mais ils se tiennent à l'écart de leurs voisins (et vice versa). Jean veille sur son frère Patrick, considéré comme simplet. Ce dernier « n'aime pas les foules, alors Jean ne les fréquente pas non plus. Patrick n'aime pas parler, alors Jean se tait
aussi ».

En face de ces êtres un peu à la marge, il y a ceux qui sont restés dans ce coin de France abandonné qui dépérit et se vide de sa population. De simples intimidations au départ, les actes se font de plus en plus menaçants envers ces étrangers accusés de tous les maux et jugés responsables de tous leurs malheurs. Tout est prétexte à accuser « l'autre » et les vieilles rancoeurs de ces laissés-pour-compte débordent peu à peu, jusqu'à faire parler les fusils : « C'est leurs bois, leurs montagnes, leurs champs. C'est tout ce qu'on leur a laissé ».

« Plus de femmes arborant fièrement leurs jambes. Ici les femmes sont aussi fatiguées que tout le monde. C'est qu'on ne se souvient de nous que tous les cinq ans et que le reste du temps il faut se taire et se terrer ». Triste constat pour cette contrée qui se meure à petit feu. Tous les thèmes sociétaux récurrents sont abordés : l'acceptation des étrangers, la condition des femmes, l'exode rural. Cela noircit sans aucun doute à certains moments l'intrigue, mettant parfois le lecteur mal à l'aise devant tant de mal-être.

Heureusement, au-delà de cette ambiance hostile et brutale, on découvre les superbes paysages dans lesquels Louise et Eli se sentent en communion avec la nature. Alexandre Lenot décrit à merveille cet univers, entre forêts et montagnes où Louise se sent « fossile agile, et ses sentiments deviennent légers comme des nuages de vapeur ».

Au final, je préfère retenir la poésie et la beauté des paysages sauvages, parfaitement illustrées par la belle couverture du livre. J'ai également trouvé touchants les portraits que l'auteur dresse des trois femmes principales de ce roman, particulièrement Louise. Aux attaques des hommes, elles répondent coup par coup. « Il y a en elles quelque chose qui dit le doute de voir un jour un homme s'élever suffisamment haut pour qu'elles le voient, qu'elles acceptent de le regarder. Elles ont l'air de résister aux chutes et à la mort, d'être les amies de tous les vents ». Merci à l'auteur d'avoir choisi de nous laisser imaginer le destin de ces femmes une fois le livre refermé.
Commenter  J’apprécie          20



Ont apprécié cette critique (2)voir plus




{* *}