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Critique de berni_29


Un célèbre diction breton dit : "Qui voit Ouessant voit son sang, Qui voit Molène voit sa peine, Qui voit Sein voit sa fin, Qui voit Groix voit sa croix..." Les îles bretonnes, bien que formant de splendides territoires, ont souvent mauvaise réputation pour la navigation maritime, y compris pour le marin le plus aguerri...
Au large de l'île de Sein, sur cette chaussée où prend fin la terre, il est un phare qui se dresse aux avant-postes comme pour défier les déchaînements de l'océan. Il s'appelle Ar-Men, mais on le surnomme « l'Enfer des enfers ». Certains jours, il se mélange avec la furie des éléments, disparaissant dans le paysage, émergeant à peine des flots tumultueux.
Ar-Men : L'Enfer des Enfers est une formidable BD où le talentueux Emmanuel Lepage nous invite à côtoyer au plus près le tumulte de l'océan comme si nous y étions.
Ar-Men est un de ces fameux phares construits à la fin du XIXème siècle pour tenter de mettre fin aux naufrages dévastateurs que vivaient ces côtes finistériennes depuis des millénaires.
Ar-Men, - qui veut dire en breton la pierre, c'est cet endroit improbable de la taille d'un grand rocher où des hommes vont un jour imaginer ériger un phare...
Le récit démarre en 1962, où nous faisons la connaissance de Germain un des gardiens de ce phare et de Louis son fidèle compagnon, nous entrons dans leur quotidien façonné d'embruns et d'horizon... Un jour, sous les coups des vagues en furie, la porte d'entrée du phare cède, la mer entre par trombes venant défaire le crépi de l'escalier. le temps de remettre tout en ordre, c'est l'étonnement qui se dessine sur le visage de Germain. Des mots apparaissent sous le crépi défait, des phrases, un autre récit, celui de Moïzez racontant sa propre histoire qui se mêle à celle de la construction de ce phare... Nous sommes alors transportés en 1867...
Je ne vous cacherai pas, qu'étant breton, j'ai toujours été fasciné par les phares, leurs histoires, leurs beautés, leurs tragédies aussi, happé par ce vaste imaginaire qui se déploie autour d'eux, aussi vaste que la mer, émerveillé par le rythme lancinant de leurs faisceaux magiques, habillant et déshabillant la nuit.
Cette BD est emplie de poésie, le vol d'une sterne traversant le ciel, le rugissement d'une mer furieuse comme elle sait l'être sur ce bord de continent perdu, à la pointe du monde. Ce bout du monde, je le connais bien, j'y vais de temps en temps, j'y suis à quelques encablures et je ne me lasse jamais de ce tableau qui se réinvente sans cesse...
Durant un été, mes parents avaient loué une petite maison de vacances à Lilia-Plouguerneau et nous avions eu l'occasion de visiter le magnifique phare de l'île Vierge, qui est le phare le plus haut du monde, du haut de ses soixante-quinze mètres. J'avais sept ans. C'est peut-être comme cela que j'ai ressenti pour la première fois une fascination pour les phares.
Forcément, je me posais des tas de questions, celles que peut-être tout le monde se pose en regardant le large... Comment peuvent tenir debout les phares, avec toutes ces tempêtes effroyables que nous subissons en Bretagne l'hiver, offrant autant de coups de boutoirs qui viennent cogner contre leur paroi... ? Mais une autre question me taraudait souvent : au milieu de cet océan si tumultueux, comment des hommes ont-ils réussi à construire de tels édifices si solides ? Et puis, tiens une autre encore : est-ce que certaines tempêtes, plus rudes que les autres, empêchaient parfois la relève des gardiens ? Je parle à l'imparfait, car désormais depuis plusieurs années, la plupart des phares au large de nos côtes sont automatisés...
La Vieille, Pierres Noires, le Four, l'île Vierge, le Créac'h, Kéréon, Ar-Men, autant de noms qui forment les gardiens de la Mer d'Iroise...
Alors trois récits viennent s'entrelacer et s'enchâsser dans des pages et des planches rugissantes d'écume. L'histoire de Germain vient se mêler à celle de Moïzez et de Dahut la fille du roi Gradlon, échappée de la cité perdue d'Ys...
Parfois un oiseau traverse le ciel, happant notre regard, tandis que les ténèbres s'ouvrent et nous voyons surgir de la nuit un vaisseau fantôme, le Bag-Noz qui venait chercher les trépassés dans la baie du même nom... C'est peut-être seulement un père racontant un conte à sa toute petite fille...
Nous devenons alors Germain, chahuté par la nuit et son cortège de fantômes, emportant avec lui sa solitude et ses blessures...
Nous devenons alors Moïzez, l'enfant trouvé sur le sable après un naufrage...
Nous devenons des lecteurs aux yeux éblouis par l'imaginaire des écrivains...
Merci Sandrine (HundredDreams) pour ta chronique toute récente qui m'a donné envie de prendre le large pour Ar-Men...
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