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Critique de Dandine


Lernet-Holenia joue avec son lecteur. Ce livre debute par une rencontre censee alimenter une intrigue a suspense, continue par une deuxieme rencontre et un amourachement on ne peut plus romanesque, pour finir meler a cela la debacle d'une armee austro-hongroise (nous sommes vers la fin de la premiere guerre mondiale), relatant en fin de compte l'effondrement, social autant que militaire, de l'empire des Habsbourg, son demembrement, en fait la fin de l'idee meme de la Mitteleuropa.

Octobre 1918: le jeune officier Herbert Menis arrive a Belgrade et entame un roman avec une dame de la cour autrichienne. Mais ce roman se deroule dans une ambiance de contrastes: les fastes de la cour face aux privations de la guerre; l'esprit d'unite et de cohesion des officiers face aux dissensions de la troupe; l'attachement obstine de ces officiers a des symboles (l'etendard!) qui ne representent plus rien pour personne d'autre.

J'ai lu ce livre comme une elegie ou Lernet-Holenia anticipe les horreurs a venir en ce XXe siecle, ou le heros se demande: “Qu'etait-il arrive pour que le monde changeat de telle facon? Combien de fois le monde avait deja sombre! C'etait incroyable qu'il fut encore sur pied!”. Des pensees amplifiees par un final, pour lui, apocalyptique, ou les drapeaux brulent, les etendards se consument.

Nous avons la une oeuvre (publiee en 1934) qui traduit l'attrition de l'auteur, pas encore console de la desintegration du monde de sa jeunesse. Comme Roth. Comme Zweig. Roth voyait dans l'empire la possibilite pour les juifs et d'autres minorites nationales de se developper paisiblement, de s'integrer dans cette grande structure et d'esquiver des bouffees antisemites ou xenophobes populaires. Lernet-Holenia, d'une position sociale plus confortable et d'une perspective plus elitiste, etait nostalgique de sa grandeur historique. Pour lui, la “convivencia” de differents peuples, ethnies et langues etait esthetiquement et intellectuellement beacoup plus stimulante que le provincialisme inevitable des homogeneites identitaires. Ni des etats-nation qu'il voyait comme insignifiants ni un Reich germanique ne pouvaient le satisfaire comme substitution de l'empire danubien.

Lernet-Holenia etait un aristocrate qui avait servi comme officier pendant la premiere guerre mondiale et, curieusement, aussi pendant la deuxieme pour un court temps. Mais il etait trop aristocrate, trop snob pour etre nazi. Ce passe a fait pourtant de lui un grand specialiste des sujets militaires. Ses descriptions des mouvements d'armees en ce livre sont exemplaires, et la minutieuse relation de l'annihilation, sur un pont qui s'ecroule, d'un regiment mutine par des troupes restees fideles, est un morceau d'anthologie.

Mais c'est peut-etre le melange, le brassage, de cliches autour de la frivolite d'une amourette, de descriptions detaillees de lieux et d'actions de guerre, et vers la fin l'introduction d'elements fantastiques qui estompent les frontieres entre le monde reel et l'onirique, qui font l'interet de cet ouvrage. Et le maniement d'images symboliques: l'etentard contre la decomposition du monde; ou, par exemple, les noms des chevaux du heros, Mazeppa (du nom de l'ataman Ukrainian chante par Byron), Honvedhusar (en serbe = le hussard defenseur de la patrie), Phase (le dernier, la derniere phase vers la defaite, vers la fin). Et surement ce que je percois comme une ultime allusion: la conscience du heros (et peut-etre de l'auteur), a la fin, d'etre devenu un anachronisme vivant.

Un auteur a lire et un livre a lire. Et a republier (merci quand meme a l'Universite d'Artois).
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