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Critique de AugustineBarthelemy


Wisconsin, l'hiver est blanc, le froid saisissant. Dans la nuit, une femme s'agite auprès d'un brasier. Lorraine est fière, on l'a toujours félicitée pour la vigueur de ses feux. Mais dans ce foyer nouvellement allumé, Lorraine fait disparaître une partie du sien : elle brûle une à une les affaires de son fils, Adam. Léguer au feu les affaires du fils, comme pour faire disparaître la douleur, faire taire le scandale à venir. Car ce qu'elle a toujours su, sans jamais vouloir se l'avouer, va bientôt se répandre comme une traînée de poudre dans ce coin perdu de l'Amérique profonde : ses belles-soeurs, qui la méprisent et la traitent de traînée derrière son dos, ont aperçu Adam en compagnie d'autres hommes. Adam est un « dépravé », un homosexuel ! Homophobie ordinaire, Lorraine l'a chassé devant le refus du fils de se faire « soigner » dans un camp religieux.

Lorraine est-elle une mauvaise mère ? Même son mari, qui l'a toujours soutenue, en frémit d'horreur. Quelle mère met son fils dehors, sans aucune affaire, en pleine nuit, au coeur de l'hiver ? L'a-t-elle chassé aussi à cause d'un vieux ressentiment, pour lui faire payer sa naissance difficile, sa jeunesse maladive, l'attention extrême qu'il fallait lui porter, à toute heure du jour et de la nuit ? L'acte de Lorraine a-t-il été aiguillé par un brin de jalousie envers Adam ? Il faut dire que le fils aîné est le fils préféré du père. Elle qui voudrait un amour exclusif, elle doit le partager. Chasser le fils, est-ce enfin pouvoir bénéficier de la présence de ce mari, toujours sur les routes, éloigné soit par le travail, soit par ses séjours en prison.

Car peu à peu, au fil de la longue confession de cette femme, on découvre le portrait d'une mère épuisée, désespérée, qui en a trop vu, trop vécu en trop peu de temps. Elle n'a que trente-deux ans, mais son corps est fatigué par ses grossesses et la misère. Tous les jours, elle s'épuise à maintenir à flot les mobil-homes qu'elle a hérité de son père. Héritage maudit, cadeau empoisonné. La crise économique a frappé de plein fouet cette région, le camping n'a jamais rapporté un sou à la famille, pire, il a participé à sa ruine. Mais ses frères lui en veulent, persiflent, traitent leur beau-frère de fainéant, leur soeur de putain toxico. Lorraine se sent aussi « harcelée » par les services sociaux, en permanence jugée par les gens : elle ne nourrit pas assez bien ses enfants, elle ne les habille pas assez bien, elle ne s'en occupe pas, surtout du petit dernier, qui a un retard mental important et qu'elle ne met pas dans une institution spécialisée. Et l'aîné est devenu un adolescent fugueur, violent et maintenant homosexuel. Preuve qu'elle est vraiment une mère à la ramasse, dont l'attention est réduite par les « antichagrins » qu'elle planque sous l'évier pour supporter les longues journées dans ce coin perdu de l'Amérique.

Le Diable emporte le fils rebelle est un court roman qui propose, au gré de la confession de Lorraine, un portrait sensible et nuancé d'une femme et d'une mère abîmée par la vie. Sans aucun jugement moral, l'auteur dépeint la souffrance d'une vie vécue dans la honte et la misère, en proie aux regards et aux médisances des « autres », des autres dont les racontars ne visent qu'à oublier leur propre douleur.
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