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Critique de thedoc


« Si c'est un homme », le témoignage concentrationnaire de Primo Levi, tout le monde le connaît ou en a entendu parler au moins une fois.
Depuis longtemps, ce petit livre m'attendait dans ma bibliothèque. Monument de la littérature de la Shoah, j'ai toujours éprouvé une sorte de retenue respectueuse vis à vis de cet ouvrage. Et puis voilà, je me suis lancée, presque 72 ans jour pour jour après la libération des camps. A l'échelle de l'Histoire, c'était hier...

Son nom est 174 517 . Un « Stück » parmi d'autres, puis un Häftling au Lager de Monowitz, un des nombreux camps de concentration d'Auschwitz.
Arrêté en janvier 1944 par la milice, Primo Levi est déporté à l'âge de 24 ans à Auschwitz III, un camp de travail où sont regroupés les prisonniers travaillant pour la Buna, une usine de caoutchouc dirigée par les civils de la tristement célèbre IG Farben. Affamés, battus, munis d'outils rudimentaires et minimalistes, la plupart des prisonniers y mourait d'épuisement ou d'inanition suite aux mauvais traitements. Ces prisonniers étaient dans la grande majorité des Juifs mais on y trouvait également des détenus politiques et de droit commun. Mélange des origines, des langues et des niveaux sociaux.

Primo Levi sera détenu au Lager de février 1944 à janvier 1945, date de la libération du camp par les Russes. Il raconte, dans l'appendice du livre, qu'il a commencé à rédiger son récit alors même qu'il se trouvait encore détenu, lors de son travail au laboratoire de chimie. C'est donc un besoin urgent et nécessaire de raconter qui a fait de ce livre un témoignage brûlant, édité pour la toute première fois en 1947.

Ce récit est exceptionnel pour de maintes raisons évidentes. Pour ma part, ce qui m' a frappée est le langage sobre et dépassionné de l'auteur. Tout comme au Lager les émotions disparaissaient, Primo Levi a retranscrit son expérience de la même façon. Il revendique bien sûr le souci d'objectivité mais je ne peux que penser à lui, alors détenu, qui ne pouvait plus ressentir joie ou peine, espoir ou peur. Primo Levi écrit comme il a vécu au Lager.
Le Lager, monstre déshumanisant. Les SS sont à peine visibles, seuls apparaissent toutes ces formes fantomatiques : silhouettes décharnées, guenilles à rayures, sabots de bois pleins de boue, calots usés. Des formes qui portent, qui poussent, qui creusent, qui hissent, avec des épaules où saillent les os. Squelettes recouverts d'une fine peau, grise ou jaune. On n'a plus d'âge au Lager : les vieux sont jeunes et les jeunes sont vieux. On ne ressent plus rien au Lager car deux choses obsèdent les esprits et le corps : la Faim et le Froid. Une faim dévorante, un froid tétanisant. Pour survivre à ces deux fléaux, il faut avant tout penser à soi, comprendre le fonctionnement du Lager et développer son sens de la débrouillardise.

Au Lager, on ne pose pas de question, chaque jour est pris comme il est. Mais se contenter d'obéir, c'est la mort assurée dans les 3 mois. S'économiser, voler, négocier, trouver un protecteur, voilà peut-être une chance de durer un peu plus longtemps. La chance justement. Ceux qui ont survécu aux camps ont dû forcément en avoir un peu car la seule volonté ne suffisait pas. Primo Levi, alité à l'infirmerie au moment de l'évacuation, a réchappé aux marches de la mort. La mort l'a pourtant frôlé dans ces quelques jours où livrés à eux-mêmes, les quelques survivants vivaient au milieu des infections et des cadavres. Mais le jeune chimiste a survécu, s'est souvenu pour toujours et a transmis ce que fut le Lager.
Et étrangement, au milieu de ce récit de mort et de déshumanisation, ce'st l'Homme qui ressort. En lisant ce livre, je n'ai vu que lui et toute sa capacité d'être humain qui persiste, malgré tout.

Car « Si c'est un homme », comme Alberto, comme Lorenzo, comme Charles. Dans la nuit, dans le froid, dans la boue. Dans la souillure, dans la maladie, dans la souffrance. Il en est resté pour se redresser et se rappeler au souvenir d'homme. Il en est resté pour réciter sur le chemin de la soupe, maladroitement, des vers de Dante à un ami. Si c'est un homme, comme Primo. Lisez-le.
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