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Critique de afriqueah


« Je hais les voyages et les explorateurs », déclare Claude Lévi-Strauss à la première page de Triste tropiques.
Il pourrait s'arrêter là, mais non, il explique d'abord son mépris pour les récits exotiques, se vantant d'avoir réussi à survivre dans des pays impossibles.
Finalement, puisqu'à son tour il va nous conter ses aventures, il se demande quel est le vrai projet de l'ethnologue : détester son propre pays, pour pouvoir encenser quelqu'elle soit une autre culture, du moment qu'elle est autre, ou, au contraire, essayer subtilement de mettre en avant les côtés rebutants et inacceptables, ce qui veut dire non acceptées par notre civilisation. Il cite le cas de l'anthropophagie, « de toutes les pratiques sauvages, celle qui nous inspire le plus d'horreur et de dégoût. »
Si l'on met à part le cannibalisme né de la famine, Lévi-Strauss analyse l'ingérence de parties du corps d'ennemis de guerre, leur consommation, non comme étant une indifférence ou un mépris vis-à-vis de la mémoire du vivant (pas plus que nos amphithéâtres de dissection) mais étant une manière d'absorber le pouvoir, d'assimiler et donc de neutraliser les forces occultes et/ou redoutables de certains ennemis.
A l'opposé, nos civilisations pratiquent l'anthropémie, ou isolement et expulsion hors du corps social : prisons notamment, où le contact est muré, ce qui inspirerait une horreur profonde « à la plupart des sociétés que nous appelons primitives ». (je pense aux asiles, à la nef des fous )
Ces Tristes tropiques sont tristes parce que démodés, l'exotisme ayant été balayé la plupart du temps par les bidonvilles. « Une agriculture de rapine s'est saisie d'une richesse gisante et puis s'en est allée ailleurs, après avoir arraché quelques profits ».
L'ethnologue se propose donc de visiter et d'expliquer au monde restant non pas la réalité d'une culture donnée, mais une caricature d'un univers perdu.
Question : les systèmes politiques déterminent-ils la forme d'existence sociale, les hommes choisissent-ils leurs croyances indépendamment de leur condition ?
Au contraire, ce qui serait moins naïf, ce sont les formes d'existence qui donnent un sens aux idéologies qui les dominent. Si, comme dans le cas de l'Inde, où la population est devenue trop nombreuse, et alors que par les castes, et le régime végétarien, on pouvait espérer une scission positive garantissant la liberté de chacun, c'est la non-reconnaissance de l'autre qui prévaut, non pas parce qu'il est différent, mais parce qu'il y a pléthore d'êtres humains : ce qui aboutit à la servitude. L'Asie en cela a échoué, et pourtant, nous dit l'auteur, c'est l'image de notre futur.
Lorsque Lévi-Strauss arrive au Brésil, ce désenchantement face à l'opportunité de ce qu'il s'apprête à faire : raconter son voyage, fait place à une analyse de ces Indiens dont le système féodal rappelle furieusement le nôtre du XVI siècle. Fort de l'idée freudienne que la réalité vraie n'est jamais manifeste, il traverse le Mato Grosso et vit dans la case d'un sorcier, s'émerveille de constater la ténacité des rites de ces paysans loqueteux, rejouant une sorte de tournois.
Parmi les Bororo, il cherche un interprète et le trouve. Ce qui l'intéresse, ayant reproduit les villages bororo toujours divisés en deux, ce sont les parures magnifiques, les coiffures en plumes, les dessins abstraits de tatouages ou de peintures corporelles dont il nous copie plusieurs exemplaires, et aussi la relation des hommes envers leurs femmes, des pères avec leurs petits, « quelque chose comme l'expression la plus émouvante et la plus véridique de la tendresse humaine ».
Grâce à son interprète/sociologue (qui avait été présenté au pape mais vit nu comme tous les Bororo, il comprend que si pour eux l'opposition nature/ culture va de soi, la mort est perçue comme naturelle, et anti culturelle. Naturelle, car un animal doit payer de sa vie lorsqu'une mort humaine advient. D'où les parures de dents, de griffes, et d'os, arborées par eux, la culture s'enrichissant.
Vivant nus, la pudeur est de mise, et Lévi-Strauss évoque les couples s'ébattant au loin du village, avec la même pudeur qu'eux et avec la même pudeur qu'il note en début de ses récits, qu'il aurait bien pu échouer dans un four crématoire.
Il a mieux valu pour la pensée humaine qu'il soit allé au Brésil en 1941.
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