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Critique de Merik


C'est Margaret Barckley qui tient la parole, un point de vue narratif qui signe la portée romanesque de cette histoire inspirée de Margaret Bulkley, devenue de son vivant le réputé docteur James Barry, à une époque – le début du 19ème siècle – où l'on n'envisageait pas de confier aux femmes la médecine, encore moins de se sentir autre dans une anatomie imposée par la nature, actée par la société. Mais en s'inspirant du personnage, E. J. Levy a respecté les faits historiques dans ses grandes lignes, à commencer par les raisons du travestissement, qui sont des raisons sociales.

C'est à Cork en Irlande que Margaret est née, dans une famille endettée à cause du frère ainé, et c'est à Londres où la mère et la fille se rendront dans l'espoir d'amadouer l'oncle, peintre célèbre. Sous la tutelle d'un de ses amis, le général Mirandus, Margaret se révèle brillante élève, elle apprend vite, a l'esprit comme une demeure dont elle parcourait « les nombreuses pièces, ouvrant des portes insoupçonnées ». A tel point que naîtra l'idée de l'entourloupe dans l'esprit de sa mère et du général, pour que Margaret puisse suivre à Edimbourg des études de médecine, pour se sauver elle-même et peut-être aussi les siens : « Je reproduisis ces gestes dans ma chambre,[...], je sentis quelque chose bouger au niveau de ma colonne vertébrale, aussi subtil qu'un claquement de dents, une clé dans une serrure ou un craquement des articulations. […] je m'installai dans mon corps comme dans un fauteuil confortable[..]. Je savais que je pourrais jouer mon rôle».

Ici il sera question de travestissement plus que de transsexualité, sans empêcher le roman de résonner avec notre époque. Il sera ainsi souvent question de différence entre hommes et femmes, de droits, le docteur Jonathan Perry (version romancée de James Barry) endossant un rôle d'émissaire pour la bonne cause des femmes : « Mon Dieu Perry, vous allez bientôt réclamer qu'elles aient le droit de vote ». Mais au-delà des questions de genre dans la représentation sociale il sera surtout question de dépassement du corps, d'une femme devenant elle-même et accédant à une forme de liberté une fois déguisée en homme : « Ils ont raison bien sûr, ceux qui disent que je n'étais pas une femme faisant semblant d'être un homme : j'étais quelque chose de bien plus choquant – j'étais une femme qui avait arrêté de faire semblant d'être autre chose, une femme qui n'était qu'une personne, l'égale de n'importe qui d'autre – en étant simplement moi-même : une personne qui avait de l'esprit, était difficile, charmante, têtue, brillante, en colère, je ne faisais plus semblant de ne pas être cette personne ».

La grande force du roman sera de nous faire oublier le travestissement, comme une preuve de l'ineptie des fixations sexuées, et l'on suivra ainsi les pérégrinations d'un magnifique personnage, homme social et femme de coeur. Une lecture portée qui plus est par un souffle épique, de l'Irlande à l'Afrique du Sud en passant par l'île Maurice ou l'Écosse, portée aussi par sa dramaturgie amoureuse, le coeur ne pouvant s'empêcher de battre sous les bandages.

Ce roman m'a passionné, traversé de références à Jane Austen ou Elena Ferrante c'est le premier d'E. J. Levy, enseignante de l'autre côté de l'Atlantique. Il se présente dans l'aujourd'hui comme un pas de côté malin sur les questions de genre, porté haut par le ton sincère et confidentiel d'un personnage mémorable.
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