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Critique de jamiK


Deux planètes habitées par des humanoïdes, Watsi et Groona, dans le système solaire de Zéo, se font la guerre dans une lutte sournoise et hypocrite, une sorte de guerre froide, sans tirs de missiles, de bataille de l'espace. L'empereur de Groona fait construire une sorte de voile intersidéral qui masquera le soleil sur la planète concurrente, Ram, un jeune officier militaire de Watsi, est envoyé sur un satellite de Groona pour espionner et tâcher de comprendre ce que mijotent ses ennemis.
Maurice Limat explore plusieurs genres, entre espionnages, hard SF, space opera. le côté espionnage sert le rythme, l'action, le mouvement et accroche l'intérêt au récit. Au niveau du hard science, c'est comme souvent chez Maurice Limat, un gros fourre tout fantaisiste, au niveau de ses connaissances en matière d'astrophysique, en plus, c'est écrit en 1964, mais cela ne m'a pas gêné, de la même manière que l'incohérence scientifique de la série Star Wars ne semble pas gêner grand monde. Enfin, du space opéra, franchement, il y a ici beaucoup de bonnes idées, outre cette notion de voile cachant le soleil, il y a aussi une utilisation originale du voyage dans le temps, quelques fantaisies architecturales, animales et décoratives inventives, pleines d'imagination et baroques.
Mais l'essentiel n'est pas là :
Maurice Limat a plutôt mauvaise réputation, à cause de sa prose alambiquée, pompeuse, au lyrisme gonflé, c'est le “précieux ridicule” de la science fiction. Il utilise souvent des mots, des métaphores volontairement savants mais en même temps risible, il appelle la mort “état posvital”, l'espace est toujours “intersidéral”, il aime bien les mots fourre tout qui se contentent de faire intello mais qui ne veulent rien dire, comme “transcendental”, et il invente toute une série de néologisme technologique, “sidérotélé, sphéronef, coplanétoïde, kinescope, quintucéphale, natatoire”, “Et tout cela était projeté au-delà de l'homme lanterne-magique, par un superkinerama en reliefcolor…” Mais moi, ce que j'aime bien, c'est que ça sonne, il y a là dedans tout un côté décoratif des mots, kitchissime, totalement roccoco, même dans les noms propres ou les noms de matériaux inconnus sur terre. Connaissez-vous l'amolx smaragdin… :
“Les yeux mi-clos, étendue sur un immense sofa tissé de madorva mauve, entre des colonnettes torsadées en amolx, l'impératrice savoure une cigarette de faoz, récolté dans les « Plaines Basses » de Groona. Rien ne voile sa beauté et, près d'elle, aussi peu vêtu, l'envoyé de la planète Watsi ne dépare pas l'ensemble.”
La syntaxe aussi participe à cette fantaisie baroque, avec les métaphores un peu ridicules, les tournures de phrases torturées, des effets dramatique forcés, les réflexions et questionnements du héros éthérées et vaseuses, mêlés à ce vocabulaire pseudo-savant et parfois mystique, pour faire honneur à Monsieur Limat, je serais tenté d'inventer le néologisme “ridiculomystique”. J'ai trouvé quelques perles. Je vous cite ce passage pour attirer le chaland adepte du second degré, amateur de kitsch et ennemi de tout ce qui se prend trop au sérieux, mais qui risque de rebuter celui qui n'est pas prêt à goûter à cette étrange drogue et qui voudrait qu'une lecture reste cantonnée au premier degré :
“Ram ainsi rêvait, béat, oubliant jusqu'à ses responsabilités, tirant une joie inconnue de cette passivité qui s'égalait à l'action en un raccourci saisissant. Agir était pour lui le zénith du nadir non-être. Et, comme le prétend une thèse audacieuse, peut-être ce zénith et ce nadir se confondaient-ils. Ram filant aussi vite que la lumière se croyait immobile, en sa propre force d'inertie. Il s'égalait à l'ombilic du monde parce que le monde ne faisait plus que graviter autour de lui. Il était ce point extradimensionnel des définitions géométriques. Il s'échappait de tout. Il montait, montait sans cesse, en un heureux vertige intérieur.”
Bon, d'accord, ça ne veut pas dire grand chose, et pourtant, je vous l'avoue, j'ai ressenti une immense joie à la lecture de ce passage, il est complètement déjanté ce Maurice Limat ! ça ressemble à une interview de Salvador Dali !
Mais ne vous détrompez pas, Maurice Limat n'a pas la moindre prétention littéraire contrairement à certains que je ne nommerais pas, il n'y a rien de pire qu'un style alambiqué associé à la prétention de son auteur. Lui, il a un recul sur son style, sa littérature, et c'est cela qui le rend le plus attachant : “Tout cela allait de la philosophie la plus sage aux élucubrations les plus prétentieusement stupides”. Il sait écrire, mais il sait aussi qu'il fait du roman de gare, et vraisemblablement, il s'amuse comme un petit fou et cet amusement se transmet, à condition d'accepter de jouer le jeu.
Ce roman est sans doute le meilleur que j'ai lu de cet auteur, les inventions et l'intrigue y sont plus solides que la moyenne, je ne vous cacherais pas que ce n'est pas le chef d'oeuvre du siècle, mais quand je lis un roman de Maurice Limat, je m'éclate totalement, il érige la SF de carton pâte au rang d'art, je ris, je jubile, je me dis “Non, il n'a pas osé !” et c'est ce qui compte. Je me demande même si je ne vais pas lancer un fan club.
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