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24 novembre 2011
Je dois avouer que l'angle choisi par Danièle Linhart dans son introduction « Que fait le travail aux salariés ? Que font les salariés du travail ? Point de vue sociologique sur la subjectivité», ne me convainc pas totalement. Et je suis dubitatif face à cette sociologie de la subjectivité.

« Il ne s'agit pas seulement de dire que l'entreprise mord sur la vie privée en exigeant disponibilité, flexibilité, mobilité, actualisation permanentes des compétences, en s'emparant des esprits par les responsabilités imposées et souvent difficiles à assumer. Il s'agit ici de mettre en évidence que l'entreprise fait écran à la société et à ses exigences, en cherchant à proposer à ses salariés les clefs personnelles, narcissiques d'une réalisation en osmose avec ses propres exigences de rationalité, de philosophie et de culture. C'est ainsi que doit être perçue cette porosité entre vie privée et vie professionnelle. »

Pourtant, l'articulation entre le dedans et le dehors, est un utile objet de recherches et de discussions. Par ailleurs, la séparation, historiquement construite, entre privé et public est une question éminemment politique.

Quoiqu'il en soit, ces points de vue n'invalident pas l'intérêt des enquêtes de terrain présentées dans ce livre, large panorama d'engagements au travail, mais source de connaissances indispensables sur « ce que la personne mobilise d'elle-même, le sens (individuel et collectif) qu'elle y met, en fonction des conditions de sa mise au travail (organisation du travail et modes de mobilisation managériales), en fonction de son histoire personnelle, et de sa place spécifique dans la société, en fonction des enjeux que représente le travail pour cette société, constitue le fil rouge qui court dans toutes les contributions de cet ouvrage. »

La première partie de l'ouvrage « Travail et validation de soi : un contrat social » présente trois enquêtes.

Fabrice Guilbaud « Quand le travail libère les hommes » étudie le travail des détenus (dont l'autre face reste un salariat atypique puisque non relié au droit du travail) et particulièrement leur perception du salaire aux pièces.

Annie Dussuet « Genre et mobilisation de la subjectivité au travail, l'exemple des services à domicile aux personnes âgées » fait ressortir l'enjeu permanent pour que ce travail soit reconnu comme salarié (travail marchand) et non comme extension du travail domestique. Pour les salariées concernées, la compassion, l'engagement subjectif tend à rendre ce travail invisible.

« Les ressorts du ressentiment » Sacha Leduc traite, dans cette étude sur des agents de la Caisse primaire d'assurance maladie et de leurs réactions à la CMU, du contrôle des usagers, de la légitimité d'un droit social et des évolutions du travail.

Dans la seconde partie du livre « Controverses », je souligne la remarquable étude de Sabine Fortino « La mise à distance des pauvres. Gestion de la précarité, effacement de la subjectivité et résistances » sur la fourniture d'énergie entre 1985 (prémices du tournant commercial de l'entreprise et premières étapes de la mise en place d'une politique spécifique) et 2004 (changement de statut juridique, entrée en bourse).

Cette étude est complétée par une analyse de l'intensification du travail comme atteint à l'éthique professionnelle des travailleurs sociaux (Jean Philippe Melchior) qui aurait gagné à une prise en compte de la dimension sexuée de ces salarié-e-s.

Danièle Linhart étudie le « Paradigme perdu du fonctionnaire d'État » avec les effets de la décentralisation du ministère de l'équipement.

Les contributions de la troisième partie « Subjectivités en travail » éclairent « les possibles remodelages subjectifs opérés par les modes de mises au travail ».

Le texte de Brahim Labari « L'encensement au travail. Référents religieux et profane dans l'expression des subjectivités au travail des ouvrières marocaines » analyse les « modalités de résistance identitaire à une autorité managériale perçue comme étrangère et coloniale » au sein d'entreprises françaises du secteur de l'habillement au Maroc.

Hélène Carderon mène son enquête sur l'appropriation par des ouvrières du travail de nuit dans l'industrie laitière. L'auteure fait ressortir les conséquences en termes d'autonomie et de mise en cause de la « condition féminine ».

José Angel Caldéron décrit les pratiques et les constructions différenciées, de celle de leurs ainés, de jeunes intérimaires catalans sur une chaine de montage automobile. Leur socialisation professionnelle est à mettre en relation avec la « durée limitée de leur séjour au poste de travail » ce qui entraine une distance au collectif.

Dans le dernier chapitre, Isabelle Bertaux-Wiame aborde « la question des interactions entre l'engagement dans la vie de travail et l'engagement au sein du couple » dans une étude sur la mobilité des cadres du secteur bancaire.

Dans sa conclusion Danièle Linhart insiste sur les multiples conséquences de la précarité au travail.

Un ouvrage passionnant mais dont les études ne peuvent fonctionner seules. Toute approche réduite aux subjectivités, pour éclairante soit-elle, me semble largement insuffisante à rendre compte du travail dans l'organisation capitaliste de la société. A l'inverse, en oubliant d'analyser les différentes modalités pratiques d'insertion au travail, on se priverait de puissants leviers pour agir.
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