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Critique de JabyOby


Cette lecture répond à un besoin que j'avais du mal à formuler. Les histoires, qu'elles soient de l'imaginaire pur ou retraçant des faits réels, sont toujours le fait d'individus en fonction de leur cheminement personnel. Où est le groupe social là dedans ? La communauté ? La société ? Voire la géopolitique ?
Certes, c'est bien plus complexe à écrire, mais c'est plus proche de la manière dont je perçois L Histoire. Je n'ai pas envie qu'on me raconte comment tel courageux héros a changé seul la face du monde ; je ne crois plus à ce conte. Je veux comprendre comment les populations se défendent face aux oppresseurs, et ce malgré leurs revendications divergeantes.
Je n'espérais plus trouver un roman qui montrent ces évolutions lentes et complexes. Mais ce livre est exactement dans cette veine. C'est bien plus qu'une histoire d'individus, mais d'unions, de classes, de tout un peuple.

Nous sommes immergés dans le quotidien d'un village finlandais, non loin de la ville industrielle de Tampere. La Finlande en cette fin de XIXème siècle n'est qu'un duché au sein de l'Empire russe. le servage y existait encore jusqu'en 1861. En 1880, où commence le récit, la récence de cette abolition a de lourdes conséquences sur l'ordre social. Ce sont en effet les métayers qui travaillent désormais les terres des propriétaires en échange d'une partie de la récolte. Et leurs droits de vote locaux vont à leurs propriétaires !
Youssi est un métayer par exemple, alors que c'est lui-même qui a rendu le marais cultivable à la force de ses bras, de sa volonté et de sa seule houe. Il incarne le « sisu » : notion chère à l'identité finlandaise de la persévérance, de la tenacité, et de la résiliance.

Face à une telle injustice systématique, les idées socialistes s'affirment, mais surtout dans les milieux intellectuels. Halme, tailleur relativement aisé dans ce milieu rural, prône par exemple des idéaux socialiste, révolutionnaire, féministe, pro-finnois, et aspire à une éducation des masses populaires. Son entourage semble assez hermétique à ses grands discours emphatiques. Demeure aussi la question de savoir si le socialisme est applicable ici, car il ne concerne en théorie que les pays industrialisés, ce que cette Finlande rurale n'est clairement pas.
Comme pour illustrer que l'oppression engendre l'oppression, le trop grand nombre de jours de redevance exigés aux métayers empêchent les familles de s'occuper de leurs « simples d'esprit », ce qui conduit à de la maltraitance. Il y a bien une maison accueillant les pauvres et les fous, mais le directeur considère qu'ils ne sont pas fous mais « retors ».

Chez la classe sociale dominante, une autre fracture apparaît à travers la « querelle des langues ». le suédois est la langue de la bourgeoisie, le finnois celle du peuple. Par nationalisme, certains de la classe bourgeoise dits « fennomanes » abandonnent leur culture suédoise pour celle finnoise. Ce n'est pas sans conséquence dans ce milieu ultra codifié, où le mépris du finnois engendre insultes et moqueries.
Si les fennomanes se veulent plus proches du peuple, le finnois n'est pourtant pas leur langue maternelle, et la langue littéraire qu'ils apprennent reste très éloignée de celle utilisée dans les campagnes.
Il y a un dialogue que j'ai trouvé brillant entre Youssi, métayer de langue finnoise, et son propriétaire, un pasteur fennomane. Il y a un tel fossé entre eux qu'ils ne peuvent se comprendre, ni dans les mots ni dans les idées. Ce qui conduit le pasteur à agir en oppresseur sans même s'en rendre compte, car ses actions sont dans la norme de ce qui se fait dans son milieu. Ce dialogue donne un aperçu de toute la complexité des rapports sociaux, où l'on a tôt fait de conclure qu'une personne qui ne comprend pas nos mots vaut moins que nous. J'ai trouvé passionnantes ces immersions dans des points de vue extrêmement éloignés.

Cela nous amène en 1899, année où le Tsar Nicolas II Romanov de Russie proclame « le Manifeste », ordonnant pratiquement la russification de la Finlande. Annexer un pays et supprimer sa culture est une chose terrible. Mais... une russification apporterait la « loi agraire », les terres louées reviendraient aux agriculteurs qui les cultivent, c'est-à-dire enfin l'indépendance des métaieries. Vaut-il mieux un État finlandais libre ou le peuple finlandais libre de leurs propriétaires ? le dilemme est corsé...
Bien sûr, on pourrait attendre une loi agraire sans russification, mais pourquoi la classe dominante ferait passer une telle loi contre leurs intérêts ? La question concrète est plutôt : quelle force les travailleurs ont-il pour se défendre ?
La grève générale !


En conclusion, j'ai eu un véritable coup de coeur pour cette fresque s'étalant de 1880 à 1914 avec ses personnages attachants et sa vie de village. Ils vivent de grands événements historiques de loin et à échelle humaine, et parfois y contribuent eux-mêmes directement.
C'est une histoire d'oppressions ; des métayers par les propriétaires, de la culture finnoise par celle suédoise, de la Finlande par la Russie, des femmes par les hommes... Mais l'espoir est permis par la lutte pour améliorer son sort, et cela nécessite avant tout l'union. J'ai trouvé ces luttes grandioses, sans jamais être toutefois idéalisées.

Grâce à cette lecture j'ai énormément appris sur l'Histoire de la Finlande et sur la montée du socialisme. Des notes de bas de page ressituent les nombreuses références culturelles, qui m'ont permis de découvrir des oeuvres telles que le Bouleau et l'Étoile de Topélius, le Kalevala de Lönnrot, L'Enseigne Stool de Runeberg, les poèmes d'Alexis Kivi le père de la littérature finnoise, ou l'hymne « Oy Maamme... » de Runeberg composé par Pacius. J'irai piocher dans cette liste pour poursuivre ma découverte de la culture finnoise. Et je me plongerai avec certitude et plaisir dans le deuxième tome de cette trilogie d'Ici, sous l'Étoile polaire.
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