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Critique de Krout


Krout
24 février 2020
Emouvance ! Ce mot m'est venu : émouvance, et non émotion trop rapidement plurielles et séquentielles. Emouvance comme une évidence qui sonne à l'unisson avec Enfance, Souffrance, Jouissance, Béance, Transcendance et les contient toutes à la fois simultanément. Et donc …


Quelle émouvance quand un vieil homme examine « en aplomb » sa vie et, pour se faire l'étale, comme l'aurait fait jadis le père de son Ami Aimé sur la plage au bout de la Barceloneta pour son filet, au pied de la Sarita son bateau, afin d'en examiner consciemment la solidité de chaque noeud et l'ampleur des déchirures que seul l'amour de sa vie savait si bien repriser !


« Qu'il est loin l'âge tendre ! » et l'école de la Mer au souvenir vivace, à l'idéal si haut, dont la devise était : « Apprendre à Penser, à Ressentir, à Aimer » faudrait-il l'oublier au prétexte que l'homme n'apprendra décidément jamais ? Dans les quartiers populaires de la Barcelone des années vingt effervescente de luttes syndicales, de combats politiques, dans une rareté de sous mais une richesse de coeur, s'ébattait joyeusement La bande des quatre : deux filles, deux garçons dont je terrai les noms par pudeur et pour ne gâcher en rien votre découverte.


Las après la fulgurance de la République, voilà les années 1936-37, les affres du Fascisme, la guerre civile, le sanguinaire Franco, la répression… Certes la Shoah, mais la guerre civile : le massacre entre voisins, entre familles ; non, il n'y a pas d'échelle dans l'horreur quand soudain la haine dévore le coeur des hommes. Les membres de la bande sont écartelés : l'un exilé en Argentine, l'un écrabouillé sous les bombes, l'un sombrant dans la folie, le dernier à la dérive. Mais toujours Barcelone, multiple, ensorcelle et enchante.


Et pourtant à travers tout, l'amour, le vrai, l'inconditionnel. L'amour … qui reconstruit, qui n'oublie rien … Caspe, Casa Elizade, Poblenou, L'Ebre, Montjuïc, la Bota, Pedro-Mata, "Copacabana"... autant de stations d'un amour crucifié. Plus encore, cette phrase qui transcende tout : "Elle faisait partie de ces gens qui avaient tout vécu : la guerre, la faim, les privations, la répression, mais qui étaient encore debout, le regard digne. Elle était encore capable de sourire." p. 310 Celle-là je pouvais mal de la rater y ayant retrouvé le sourire illuminé par les épreuves de mes grands-parents, car oui, les épreuves traversées par deux guerres donnaient une tendresse et une lumière particulières à leurs yeux quand ils me souriaient.


Alors forcément cinq étoiles et pour celles et ceux qui louperaient cette petite phrase pas d'inquiétude, l'épilogue efface le moindre doute. Roman dur. Roman tendre. Ainsi les Yeux fardés bien loin de se racrapoter en une simple lamentation s'illuminent en un hymne à l'amour. Quand beaucoup d'autres romanciers se contenteraient de nommer les horreurs pour une salutaire prise de conscience, Lluis Llach va bien plus loin pour nous réconcilier avec notre humanité.


François Cheng lors de la grande librairie du 29 janvier disait : "Si on est écrivain, si on est digne de ce nom, il faut, dans la mesure du possible, porter toutes les douleurs du monde et essayer de les transformer, de les transfigurer en une sorte de lumière qui nous aide à vivre." Je vous le dis donc sans fard les yeux dans les yeux, ce livre est la parfaite illustration de son propos.
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