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Critique de 5Arabella


Dernier roman en date de l'auteur, annoncé par lui-même comme le dernier tout court (même si ce n'est pas la première fois, donc l'espoir reste permis à ses fans), le livre est paru en 2017 au Portugal et en 2019 en France. Un long roman de presque 600 pages : il faut savoir avant de s'embarquer que ce sera un voyage au long cours, d'autant plus que l'auteur n'est pas le plus facile ni le plus rapide à lire.

Nous sommes dans l'univers et les thématiques habituelles d'António Lobo Antunes : la guerre d'Angola et ses séquelles sur ceux qui l'ont vécue, aussi bien du côté portugais que du côté angolais. le personnage au centre du récit, jamais nommé, a été un appelé comme tant d'autres, et il a été sous-lieutenant pendant la guerre. Il en a connu toutes les souffrances et toutes les atrocités, il en a commis sa part. Il a adopté un enfant suite à la destruction d'un village, et l'a ramené au Portugal. Nous suivons surtout les monologues intérieurs de ces deux personnages, qui racontent, se racontent, sous la forme d'une lancinante mélopée, pleine de répétitions, parfois de contradictions. Nous passons d'un sujet à l'autre, d'un personnage à l'autre, sans parfois savoir à quel moment la parole de l'un prend la place de l'autre. D'autres personnages sont également là : la femme du sous-lieutenant, et donc la mère adoptive du fils ramené d'Afrique, la fille du couple, l'épouse du fils… Mais les trois plus importants, sont le couple et le fils noir. L'issue nous est connue d'emblée, comme dans les tragédies, le fils tuera le père. C'est le cheminement vers ce meurtre qui est la trame du livre.

António Lobo Antunes nous livre, comme à son habitude, une vision très noire de la nature et de la destinée humaines. Certains actes sont irrémédiables, ils ne peuvent être effacés, ils s'incrustent définitivement, dans l'âme, ou plutôt dans la conscience, et gardent, voire augmentent leur pouvoir de nuisance tant que cette dernière fonctionne. Il n'y a pas de possibilité de pardon, ni pour les autres, ni pour soi-même. Les monologues intérieurs des personnages traduisent toute la complexité de la créature humaine : à la fois dans le présent et dans le passé, qui peut être aussi réel que le présent ; dans la permanente ambivalence : on peut par moments détester, déprécier, mépriser l'être que l'on aime le plus. Toutes les contradictions, les souffrances les plus intimes, les doutes, quelques souvenirs plus heureux s'expriment dans des bouts de phrases, qui passent d'un sujet à un autre, d'un personnage à l'autre. Et tous ces échanges intérieurs, mêmes s'ils évoquent les mêmes expériences, les mêmes faits, se croisent sans vraiment se répondre, chacun reste définitivement seul, enfermé dans son moi, que personne ne peut aider réellement. le mari et la femme, leur histoire d'amour qui dure depuis des années, au point qu'ils ne conçoivent pas la vie l'un sans l'autre, est impitoyablement mise à nue. La façon différente dont chacun d'entre eux se souvient de ce qui s'est passé, de ce que cela signifiait, les moments pénibles, creux, la frontière infranchissables entre les êtres que ce l'on appelle amour n'abolit pas. Les relations complexes entre le père et le fils adoptif, la haine aussi bien que l'amour, l'ambivalence de l'action de sauver cet enfant, l'affection par moments, mais aussi le mépris, le pouvoir, le racisme qui est là tapi quelque part d'une façon sournoise et peut surgir à l'occasion. La maladie et la mort aussi, qui sont, quoi qu'il arrive, le lot de tous les hommes.

C'est très fort et très dense, par moments très juste d'une façon cinglante. C'est une lecture difficile à conseiller à qui que ce soit, car ce n'est pas toujours aisé à suivre et demande une certaine concentration et disponibilité chez le lecteur. C'est très sombre, sans la moindre lueur d'espoir. Il faut être prêt à affronter l'univers d'António Lobo Antunes, car c'est une expérience éprouvante, il vaut mieux choisir le bon moment pour la tenter.
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