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Critique de SZRAMOWO


La narratrice avait un an lorsque ses parents, immigrés vietnamiens, ont quitté le Laos, contraints et forcés. Pour son frère de onze ans l'arrivée en France est un drame. Il ne s'en remettra jamais, vivant toujours chez ses parents à trente-trois ans, nourri de shit et de jeux vidéo.
Elle porte un regard lucide sur cette famille qui veut la maintenir à tout prix dans l'univers qu'elle a fui : « Entre les murs de l'appartement situé en terre étrangère – la France -, s'est instauré un condensé de lois confucéennes, bouddhiques, conservatrices, traditionnalistes, soit une petite dictature. »
Sa mère n'est pas le modèle dont elle rêve : « C'est ainsi que débute chaque journée de sa vie. Par une grande casserole d'eau bouillante. »
A la « lisière de ses dix-huit ans », elle a « renvoyé (le) mari vietnamien (…) à la figure » de sa famille et « a fui Paris ». Elle a commis « le geste total » (…) « l'imprudence. »
Le retour à Savannaketh pour l'enterrement de la grand-mère maternelle, va lui ouvrir les yeux. Ces quelques jours passées au Laos, les discussions avec son grand-père, en fumant des 555, les fausses retrouvailles avec Thu, la serveuse du restaurant qui l'a remplacée auprès de sa grand-mère, les déambulations avec son frère dans les lieux de son enfance, lui permettent de mesurer la distance qui la sépare à la fois du Viêt-Nam et de la France.
Comment ses grands-parents ont-ils vécu leurs relations avec les colonisateurs ? Ne vit-elle pas la même chose avec son envie de France ?
« L'exotisme de la vietnamienne (…) est une usine à stéréotypes, dépréciatifs ou gratifiants. Ils disent la même chose, dans le fonds. Une xénophobie plus ou moins assumée. »
L'imprudence traite avec à la fois beaucoup d'émotions et de recul, de la difficulté du déraciné à trouver une identité en France, notamment lorsqu'il est originaire d'une ancienne colonie. Ici le Viêt-Nam. Acquérir son autonomie via la maitrise de la langue ou le statut professionnel suppose de s'éloigner de sa culture d'origine sans être certain de n'être plus regardé comme un étranger. Dilemme connu.
Même le retour au pays ne comble pas cet abîme. Au pays, on revient toujours comme celui qui est parti, quel que soit la raison, une sorte d'étranger ; les amis d'autrefois que l'on voudrait maintenir là où on les a laissés en partant, ont évolué. Rien ne coïncide plus malgré ses efforts. « Je pourrais ressembler à une Française. Mais ce n'est pas le cas. »
La narratrice comprend que « L'expatriation condense les archétypes. » mais en même temps, elle est consciente de la superficialité des archétypes ; au Viêt-Nam comme en France, ou ailleurs, les mêmes combats se déroulent, entre hommes et femmes, maris et amants, femmes et maîtresses, riches et pauvres, exploiteurs et exploités. Combats qu'elle mène au sein de sa famille, contre son frère, son aîné, sa mère et les membres de sa famille, de guerre lasse : « Et malgré tout la révolte qui me hante, je tiens à vous. »
Etrangère partout, elle a compris cela : « le seul endroit sur terre dont je peux revendiquer l'appartenance est le périmètre de ma peau. C'est là le seul vrai lieu qui est le mien. ». Elle en use et en abuse, collectionnant les aventures, trouve sa liberté dans « un égoïsme salvateur », retient les conseils d'Edmond le photographe misanthrope : « Sois poreuse et n'attends rien. ».
Dans le cours du récit, l'auteur fait un clin d'oeil à ses lecteurs en faisant dire à la narratrice qu'elle sent « L'odeur, la merveilleuse odeur des garçons affamés. », le titre de la BD qu'elle a scénarisé pour le dessinateur Peeeters.
https://www.babelio.com/livres/Peeters-Lodeur-des-garcons-affames/833098
Un livre reçu lors du pique-nique Babelio, que j'ai lu avec plaisir, le sujet est d'actualité, la façon de le traiter audacieuse et juste, la personnalité de la narratrice est attachante.
Loo Hui Phang, une auteure que je vais m'empresser de découvrir. Merci à Babelio pour ce cadeau.

Lien : https://camalonga.wordpress...
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