AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de ChatDuCheshire


Acheté "sur impulsion" dans un supermarché. Je n'avais jamais entendu parler de cette histoire et la quatrième de couverture, assez habilement rédigée, m'a donné envie de découvrir l'histoire d'une femme qui m'apparaissait assez libre, idéaliste et en avance sur son temps pour vivre une histoire avec "el commandante", Fidel Castro.
Je dois dire avoir immédiatement déchanté lorsque, rentrée chez moi, j'ai lu les toutes premières pages où l'auteure (qui fut sérieusement aidée dans son entreprise par la journaliste Idoya Noain, qui eut sans doute beaucoup de mal à recueillir des confidences probablement passablement décousues) révèle, non sans une désarçonnante candeur, qu'elle fut considérée comme "témoin non crédible" par la Commission parlementaire étasunienne enquêtant sur l'assassinat de JF Kennedy (en effet l'auteure compta, parmi ses nombreux "faits d'armes", la participation a une étrange équipée en voiture entre la Floride et Dallas, en 1963, en compagnie de Lee Harvey Oswald et de quelques patibulaires cubains anti-castristes imputant à Kennedy l'échec de l'invasion foireuse de la Baie des Cochons). A cette conclusion de la Commission l'auteure oppose une "évidence" désarmante: "Moi, je sais où se trouve la vérité, parce que j'étais là". Bon, si elle le dit...
Le problème du témoignage de Marita Lorenz sur sa vie (née en 1939 d'un père allemand, capitaine de vaisseau et souvent absent, et d'une mère américaine, cadette de quatre enfants et internée avec sa mère, soupçonnée de sympathie avec "l'ennemi", durant quelques mois au camp de Bergen-Belsen alors qu'elle n'avait que 4-5 ans, aucune preuve n'est fournie de ce fait et ne peut l'être car les archives de Bergen-Belsen furent détruites par les nazis à la fin de la guerre) est qu'il apparaît notoirement entaché d'une tendance, ainsi que l'on souligné maints observateurs, à "enjoliver" systématiquement la réalité. Contrairement à Enric Marco (voy. le récent livre de Javier Cercas qui lui est consacré) elle n'est pas une impostrice (Enric Marco, un imposteur de génie, s'inventa un passé et fit croire de nombreuses années qu'il avait été interné dans un camp de concentration) en ce sens que les deux faits les plus marquants de sa vie sont avérés (son idylle avec Fidel Castro, alors qu'elle n'avait que 19 ans, le bateau de son père ayant un jour mouillé au large de Cuba; sa relation subséquente avec l'ex dictateur vénézuélien Marcos Pérez Jiménez, dont elle eut une fille, Monica Pérez Jiménez) mais bien d'autres figurant dans cet auto-récit de sa vie sont soit sujets à caution soit carrément contredits par des faits avérés (voy. le très intéressant article de Ann Louise Bardach, publié dans Vanity Fair en 1993: http://www.vanityfair.com/culture/2016/03/marita-lorenz-fidel-castro-conspiracy-theories). Alors, bien sûr, d'emblée ma motivation à me farcir le récit de ses aventures s'en est trouvé plombé.
D'autant plus que la lecture de ces souvenirs révèle un personnage, disons particulier, très éloigné de ce à quoi je m'attendais à l'achat de ce livre. Pour faire court, le sous-titre que je serais tentée de donner à cet opus serait quelque chose comme : "Grandeur et décadence d'une petite écervelée cupide et narcissique". Marita est loin d'être une idéaliste tombée amoureuse d'un "noble" révolutionnaire. Elle a eu le coup de cœur d'une adolescente pour son premier amour qui s'est trouvé être Fidel Castro. Ensuite elle n'eut aucun mal, peu de temps plus tard, à se laisser séduire par un ex dictateur sanguinaire (Pérez Jiménez, en exil en Floride) dont les idées étaient pour le moins diamétralement opposées à celles de Castro et qui, d'ailleurs, passait son temps à téléphoner à Castro pour claironner qu'il lui avait pris sa petite amie et l'avait mise enceinte. Mais Pérez Jiménez, immensément riche, avait à ses yeux la beauté de son compte en banque. Malheureusement pour elle, elle fut trop stupide pour conserver le bénéfice des trust funds qu'il avait mis en place pour elle et pour sa fille...
Plus tard sa fille Monica la décrira en ces termes, particulièrement éclairants:
"Castro was the big, glamorous hunk at that time. It was like being with Bon Jovi or Patrick Swayze. My mother was a dictator groupie (...) She was a power junkie".
Marita Lorenz apparaît en fait totalement apolitique mais aussi amorale, cupide et sans reconnaissance vis-à-vis d'une famille qui, quoiqu'ayant du mal à la comprendre, a toujours volé à son secours (sa mère à qui elle doit la vie lorsqu'elle fut "parachutée" avec sa fille au coeur de la jungle vénézuélienne dans des circonstances rocambolesques, son frère diplomate et sa soeur consultante qui lui fournit du travail mais qu'elle accuse de l'avoir volée et qu'elle traite de "saleté").
A l'issue de sa romance avec Castro - dont elle sortira très meurtrie, ayant perdu l'enfant qu'elle attendait de lui dans des circonstances jamais élucidées - elle se laissa persuader par la CIA que la meilleure chose à faire était de retourner à Cuba pour l'assassiner. Par amour elle refusa d'abord de le faire mais révisa son jugement lorsqu'on lui promit beaucoup d'argent. Mais sur place elle affirme n'avoir pu le faire, car toujours amoureuse de lui. En réalité, elle n'aurait alors pas pu le faire car elle avait eu la sottise de dissimuler sans protection les pilules destinées à l'empoisonner dans un pot de crème où elles se désagrégèrent... Par ailleurs Castro était plus que conscient de son ascendant sur elle...
La suite de sa vie ensuite fut un festival de double-jeu, la Mata Hari des Caraïbes fut le surnom dont elle fut affublée, occultant une réalité nettement plus sordide: sans cesse en manque d'argent, qui lui brûlait les doigts dès qu'elle en avait (les films "Casino" et "Boogie Nights" viennent à l'esprit lorsqu'elle décrit sa vie de patachon, multipliant les amants, de préférence mafiosi), elle infiltrait pour le plus offrant, CIA, FBI, mafia etc., faisant allégeance aux anti-castristes (d'où son équipée prétendue à Dallas à la veille de l'assassinat de Kennedy) tout en clamant son amour éternel pour le peuple cubain et Castro, jurant sa loyauté aux uns et à leurs opposants (la scène de son interrogatoire par des agents de Castro à Cuba et, à son retour, par des agents de la CIA auxquels elle répond avec la même complaisance est hallucinante) mais se lamentant, comme c'est étonnant, qu'on ne lui fasse pas confiance... Et manipulée tout du long par un certain Frank Sturgis, impliqué dans l'affaire du Watergate et lui-même agent double, triple, quadruple... mais doté d'une certaine intelligence quant à lui...
Finalement et presque à mon corps (et esprit) défendant j'ai été fascinée par la manière dont cette femme raconte son histoire, réelle et prétendue, quoiqu'il soit bien difficile de la trouver sympathique. Il y a chez elle une candeur dans l'amoralité qui la rend, disons, intéressante, même si, quelque part, cela me fait un peu mal de savoir qu'un peu de mon argent lors de l'achat de ce livre filera dans le panier percé d'un tel personnage. Aux dernières nouvelles Hollywood prépare un film sur sa vie et l'entreprise commerciale apparaît donc savamment orchestrée...
Pour le reste ne vous attendez certes pas à une œuvre littéraire: c'est très mal écrit, bourré de coquilles et de fautes d'orthographe et lamentablement traduit de l'espagnol...
Commenter  J’apprécie          71



Ont apprécié cette critique (3)voir plus




{* *}