Quant à celui qui de toutes ses forces s'efforce d'obéir à Nature et qui prend la peine d'aimer comme il faut, sans aucune pensée vilaine, mais en s'y employant loyalement, qu'il s'en aille, orné de fleurs, au paradis.
Je soupçonne fort, d'ailleurs, Abstinence d'être orgueilleuse et de ressembler à Faux Semblant, si humble et charitable qu'elle puisse sembler.
Faux Semblant, s'il est encore trouvé en compagnie de tels traîtres avérés, ne doit pas avoir part à mes salutations, ni lui ni son amie Abstinence.
(...), je lui réglerai son compte devant Dieu (...), puisqu'il me cause tant de tourments! Je suis femme et je ne peux me taire. Non je veux désormais tout révéler, car une femme ne peut rien cacher et il va se faire vilipender comme jamais il ne l'aura été. (...)
Ses vices seront alors exposées et je dirai la vérité sur tout.
Il est orgueilleux, meurtrier et larron, félon, cupide, avare, tricheur, dépourvu d'espérance et plein de médisance, haineux aussi et méprisant, mécréant, envieux, menteur, parjure, faussaire, sot, vantard, glouton, inconstant et insensé, idolâtre, ingrat, traître et fieffé hypocrite, paresseux et sodomite. En un mot, il est si misérable et si sot qu'il est esclave de tous les vices sans exception, et il héberge tous en lui.
Et quand je contemple ma sottise, il est tout à fait légitime que je m'en repente.
Et pour obtenir la noblesse, qui est chose fort honorable sur terre, tous ceux qui veulent la posséder doivent connaître la règle suivante.
Quiconque aspire à la noblesse doit se garder d'orgueil et de paresse; il faut qu'il se voue aux armes et à l'étude et se débarrasse de toute bassesse; qu'il ait le coeur humble, courtois et généreux, partout et envers tout le monde sauf, sans plus, à l'égard de ses ennemis quand l'accord avec eux est impossible; qu'il porte honneur aux dames et aux demoiselles -mais sans leur faire trop confiance, car il pourrait lui en cuire- car personne ne pourrait avoir de trop belles manières.
Aussi , les clercs qui n'ont pas le coeur noble et généreux valent moins que personne, en évitant le bien qu'ils connaissent et se laissant entraîner par les vices déplorables. Ils devraient en être plus sévèrement punis devant l'empereur céleste, les clercs qui s'abandonnent aux vices, que ne le sont les laics, simples et ignorants, qui ne trouvent pas dans les livres la description des vertus que ces clercs-là considèrent comme viles et méprisent. Même si les princes sont lettrés, ils ne peuvent se consacrer autant à la lecture et à l'instruction, car ils ont trop à s'occuper ailleurs. C'est pourquoi, pour posséder la noblesse, les clercs, vous pouvez le savoir, ont une situation plus belle et plus éminemment favorable que les seigneurs terriens.
La noblesse vient d'un coeur généreux, car la noblesse héréditaire n'est pas noblesse (...).
Et si quelqu'un ose me contredire, se glorifiant de sa noblesse, et dit que les gentilshommes, comme les appelle le peuple, sont d'une condition supérieure, par la noblesse de leur naissance, à ceux qui travaillent la terre et vivent de leur labeur, je répondrai que nul n'est noble s'il ne pratique la vertu et que nul n'est vilain sauf par ses vices qui le font paraître insolent et sot.
Je les fais naître semblables et nus, qu'ils soient forts ou faibles, gros ou menus; je les mets à égalité pour ce qui est de l'état d'humanité; c'est Fortune qui se charge du reste, elle qui ne sait être constante, qui distribue ses biens selon son bon plaisir sans prendre garde au bénéficiaire et tout reprend ou reprendra toutes les fois qu'elle le voudra.
Qu'il soit roi ou qu'il n'ait pas vaillant deux poix chiches, celui qui convoite le plus est le moins riche.