Citations sur Créer la conscience (12)
Imaginez un aveugle négociant son chemin uniquement à l'aide de sa canne et de son intuition. Le rôle du koan sera de lui enlever sa canne sans pitié et de le jeter par terre après l'avoir fait tourner sur lui-même. L'aveugle perdra son unique appui et ne saura plus ni où aller ni comment avancer. Il sera plongé dans l'abîme du désespoir. C'est ainsi que le koan fonctionne. Il réduit à l'impuissance notre intellect, il nous enlève nos connaissances. Bref, le koan n'a pas pour but de nous mener facilement au satori, mais au contraire de nous faire perdre notre orientation et de nous plonger dans le désespoir.
S'il est vrai, comme l'enseigne le bouddhisme, que nous sommes entiers et complets, qu'il ne nous manque rien pour une vie de félicité et de bien-être, pourquoi devons-nous faire tant d'effort pour la réaliser ?
Le bouddhisme zen l'emploie comme image pour parler de l'éveil, de la révélation de la totalité. « Révélation » n'est pas vraiment le mot juste, mais aucun mot ne peut être juste. Comment parler de cette totalité qui donne non seulement le pouvoir de parler, mais aussi celui d'être, d'exister ? C'est pourquoi nous parlons du rugissement du lion : nu, puissant, indompté. L'unité dynamique.
La lune entre les nuages, toujours la même;
La montagne et la vallée, différentes l'une de l'autre.
Merveille, merveille, merveille
Est-ce un ou deux ?
La seule façon d'apprécier vraiment la justesse de ce koan et d'en ressentir la force est d'éviter de faire le saut et de demeurer avec la réponse telle qu'elle est, exactement comme dans l'ironie où, pour en ressentir la force, l'on doit éviter de sauter à un autre niveau. Il y a un saut immense sans aucun mouvement et en fait sans aucun changement. Pénétrer un koan, c'est cela; c'est cela la nature de l'éveil.
Joshu fut d'ailleurs assez lent à apprécier l'ironie et même alors Nansen dut ajouter : « C'est comme l'espace vaste ». Cet espace vaste est le point de vue supérieur. Cependant, pour apprécier le koan, quelqu'un doit éviter de sauter au point de vue supérieur et demeurer fermement dans « l'esprit ordinaire, c'est la voie
De même, si quelqu'un se laissait prendre par l'ironie de Nansen, il s'interrogerait sur la raison pour laquelle les bouddhistes zen passent tant d'heures en méditation, sur ce qui justifie un effort aussi long et aussi pénible.
Il y a une puissante ironie dans cette réponse, car c'est précisément de cet esprit ordinaire, avec son cortège d'anxiétés, d'afflictions et de tracas, que Joshu tente de se libérer.
Joshu demanda : « Qu'est-ce que la voie ? » Nansen répondit : « L'esprit ordinaire, c'est la voie.
Chez les gens qui méditent, quand la pratique commence à s'approfondir, il n'est pas inhabituel de voir apparaître de l'agitation, parfois de l'anxiété ou même beaucoup de colère. Quand la méditation s'approfondit, la tension se relâche et se transforme en émotions négatives. Dans toute tension physique et émotionnelle, il y a deux « présences-à » à l'oeuvre, une sorte d'attraction-répulsion, où il y a simultanément prise et lâcher-prise.