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Critique de raton-liseur


On entend parfois dire que la Chine est l'autre pays de la gastronomie, du moins quand on se veut un Français magnanime et large d'esprit capable d'accorder un accessit à une autre nation pour ses talents culinaires. Dans un sens, la botte de carottes en couverture de l'édition Picquier ne rend pas compte de la complexité des plus grands plats chinois, dont quelques uns sont mentionnés dans ce livre, des plats dont le seul nom peut faire venir l'eau à la bouche ou font voyager, crevettes sautées, oie braisée au marc de vin, poumons (sic) de barbeau, porc confit au sucre candi et autres soupes de nouille du petit jour.
Mais au contraire, le simple fait d'ériger en oeuvre d'art une botte de carotte montre le profond enracinement de la gastronomie dans la culture chinoise. Et si au premier abord on peut croire que Lu Wenfu aborde l'histoire mouvementée de son pays dans la seconde moitié du XXème siècle par le petit bout de la lorgnette, ce serait faire peu de cas de ce qu'est l'art de manger et l'art du banquet en Chine. Au contraire, Lu Wenfu ne craint pas de s'attaquer à un monument, une institution, et si son propos peut paraître inoffensif (une bonne façon de tromper une censure plus ou moins implicite ?), et les lecteurs ne s'y sont pas trompé puisque, comme le signale la préface, ce livre a fait grand bruit au moment de sa sortie en Chine.
Il est possible que le lecteur occidental lambda (au nombre desquels je me compte) ayant un peu de mal à décrypter toutes les allusions, allégories et sous-entendu ait du mal à voir à quel point ce livre a pu être subversif, mais ce sentiment est compensé par la sensation d'exotisme à l'évocation de tous les plaisirs culinaires de la douce ville de Suzhou.

Voilà donc un roman assez court, qui balaie environ quarante ans de l'histoire de Chine en comptant les péripéties de l'affrontement entre Zhu Ziye, spéculateur avant la révolution qui continuera à jouir de sa fortune même si pour cela il devra apprendre à se cacher et Gao Xiaoting, communiste convaincu, pauvre mais lettré, qui abhorre la cuisine fine, emblème de la différence de classe et se retrouve par un coup du sort directeur du restaurant le plus renommé de Suzhou, une ville déjà elle-même renommée pour ses spécialités gastronomiques.
On vivra par les yeux de ces deux personnages l'arrivée du communisme, le Grand Bond en Avant et la victoire de la vie en communauté et de l'utilitarisme, puis la Révolution Culturelle et ses dérives, puis tous les soubresauts qui se succèderont, jusqu'à enfin les prémisses du capitalisme à la chinoise. On pourrait croire qu'à l'issue de tous ces évènements on ne fait que revenir à la situation initiale, avec les mêmes restaurants, la même cuisine, et finalement à peu près les mêmes riches et les mêmes pauvres. Ce n'est peut-être pas tout à fait faux, et c'est la continuité culturelle qu'incarne la gastronomie, mais les choses ne sont pas tout à fait les mêmes non plus, de nouveaux plats apparaissent, et les personnages ont évolué. Lu Wenfu veut-il nous dire que c'est cela la Chine éternelle, à la fois semblable et différente de ce qu'elle était il y a un demi-siècle ? Peut-être, mais ce serait probablement réduire son propos que de se limiter à cette interprétation.
C'est en tout cas une ode à la Chine qu'il aime, celle des plaisirs du palais, des encas achetés au coin de la rue, celle d'une culture qui s'enracine dans un passé riche et continue à évoluer et à se transformer. Une lecture très agréable, facile, qui peut sembler légère alors qu'elle dit beaucoup. Une très bonne découverte, et une envie de voir s'il n'y a pas un restaurant chinois qui proposerait des spécialités de Suzhou près de chez moi…
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