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Critique de Eve-Yeshe


En général, les romans qui tournent autour de l'exil m'attirent et avec celui-ci, je n'ai pas été déçue, bien au contraire.

On fait la connaissance de Maryam, in utero, alors que sa mère participe à une manifestation politique, et la manière dont cette est écrite est très belle, touche le lecteur, l'appâte même…

On va la suivre ainsi à plusieurs âges de la vie, notamment à six ans, lorsqu'il faut partir, car ses parents sont communistes (ils n'avaient pas rêver cette révolution-là !) et un premier traumatisme : elle doit distribuer tous ses jouets aux enfants du quartier, au nom de la non-propriété, ce qu'elle trouve très injuste ; elle envisage même de les enterrer sous un arbre dans le jardin, où ses parents ont mis tous leurs livres à l'abri en espérant les récupérer un jour…

Maryam raconte la révolution iranienne, la mise au pas par les autorités religieuses, les arrestations, les tortures, les droits qui partent en fumée, ses parents qui sont obligés de fuir alors que son oncle Saman est jeté en prison où il restera pendant huit années…

A noter un extrait très fort, où Saman lui raconte qu'il a partagé sa cellule avec un journaliste célèbre dans les milieux intellectuels lequel regardait un dessin animé pour enfant tous les jours assidûment car c'est sa femme qui faisait le doublage, seule manière de résister à l'incarcération.

Elle parle bien de sa première journée d'école en France, alors qu'elle ne parle pas le français et se sent différente voire exclue. Les senteurs, la cuisine de son pays natal lui manquent, la famille restée sur place aussi, notamment sa grand-mère qui l'accompagnera dans l'imaginaire tout au long de son enfance, puis son adolescence.

L'exil, la perte de la langue, de la culture sont une souffrance du quotidien, car pour bien apprendre le français, elle renonce à apprendre le persan, pour s'opposer aussi à son père, qui désire ne pas se couper de ses racines :

» Je suis pas un arbre, j'ai pas de racines. C'est votre langue, plus la mienne. »P143

J'ai beaucoup aimé la manière dont elle a conçu son récit, alternant les périodes de sa vie, on passe de l'enfance à l'âge adulte, pour revenir à l'enfance, on alterne aussi les lieux, tantôt en Iran, tantôt en France, mais on fait aussi des détours par la Chine et la Turquie notamment.

La perte d'un pays est une douleur, un écartèlement entre deux cultures, mais comment choisir sans se trahir ou trahir les autres, au nom d'une intégration réussie ?

A noter un très beau chapitre sur la langue perdue qui s'éteint peu à peu et finit par disparaître et mourir si on ne la parle plus, cette langue que la petite fille va enfouir au fond d'elle -même:

La langue perdait de sa vitalité et de sa force. Elle devenait de plus en plus fragile. Elle avait en elle la faiblesse des personnes malades qui doivent trouver un refuge pour se protéger du reste du monde. Chaque jour, elle reculait devant la puissance d'une rivale, une autre langue, celle-ci était la langue officielle de ce nouveau pays. » P 137

Qui dit exil sous-entend tentation du retour, parfois idéalisation du pays qu'on a perdu…

On rencontre au passage des poètes iraniens, notamment mon préféré Omar Khayyâm, qui sera le sujet de son mémoire et dont elle nous livre des extraits.

J'ai vraiment beaucoup aimé ce roman, la poésie de l'écriture, les phrases parfois courtes, percutantes, et celles dont les mots s'étirent, s'enroulent dans la fluidité et la douceur; les talents de conteuse de Maryam Madjidi sont immenses et son Goncourt du premier roman bien mérité.
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