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Critique de JustAWord


Le froid, Jamey Bradbury connaît bien.
Cette américaine de 40 ans vit en effet depuis près de quinze ans en Alaska en tant que secouriste et bénévole de la Croix Rouge.
Son premier roman, Sauvage, trouve le chemin des librairies françaises grâce aux excellentes éditions Gallmeister et à la non moins excellente traduction de Jacques Mailhos.
Si, comme beaucoup, vous aviez été bluffé par My Absolute Darling l'année dernière, installez-vous confortablement car Sauvage joue aussi dans la cour des grands.

Musher en Alaska
Dans les grandes étendues glacées de l'Alaska, la jeune Tracy Petrikoff rêve de participer à l'Iditarod, une course de chiens de traîneau de plus de 1700 km.
Cette passion, c'est son père qui lui a refilée mais celui-ci n'est plus que l'ombre de lui-même ces derniers temps après la mort de sa femme.
Hanté par cette disparition, Tracy passe son temps dans la forêt où elle excelle dans l'art de la chasse. À l'écart du monde, elle respecte pourtant scrupuleusement plusieurs règles édictées par sa mère dont la plus importante reste de ne jamais faire saigner d'humain.
Car Tracy possède un secret bien gardée qui la terrifie et lui vrille le ventre lorsqu'elle se tient trop longtemps à l'écart de la forêt.
C'est justement lors d'une de ces escapades que la jeune fille est attaquée par un vagabond qu'elle poignarde par réflexe. Affolée, elle regagne alors son domicile tandis que la culpabilité la ronge petit à petit.
Jusqu'au jour où l'inconnu qu'elle a blessé surgi dans la cour et saigne au milieu de la neige…
Jamey Bradbury nous emmène donc en Alaska dans un décor glacé et sauvage où le titre de son roman reflète à la fois la Nature alentour et les étranges penchants de sa jeune narratrice Tracy.
Fille de musher et elle-même passionnée par cette discipline, Tracy nous parle longuement de ce sport méconnu sous nos latitudes mais qui remplit pourtant sa vie à elle du matin au soir. de par sa nature, la course de chiens de traîneaux entraîne une proximité toute particulière avec les animaux et avec les conditions climatiques souvent difficiles de la compétition. Cet aspect fusionnel avec les chiens, Sauvage le retranscrit à merveille avant de se pencher sur le principal enjeu de son histoire : Tracy et son « don ».

Une lignée de femmes
« J'avais envie de te laisser vivre. » avouera la mère de Tracy à la jeune fille alors que celle-ci s'interroge sur l'éducation que lui a donné sa mère.
Tracy, c'est le point d'ancrage du lecteur dans cette histoire qui mêle fantastique, récit initiatique et nature-writing.
Âgée de dix-sept ans, l'adolescente cache un don très particulier (que l'on vous laissera découvrir vous-même) qui peut rapidement virer à la malédiction (on pense d'ailleurs souvent aux Meurtres de Molly Southborne de Tade Thompson).
Plutôt que d'en faire un élément horrifique, Jamey Brabury s'en sert comme d'une façon d'illustrer l'émancipation féminine grâce à ce secret partagé entre mère et fille.
La relation entre Tracy et sa mère, bouleversante de la première à la dernière page, raconte en filigrane le désir de changer la donne, de laisser vivre, d'être libre…malgré tout.
Car si Tracy doit respecter certaines règles, c'est aussi pour vivre dans un monde dangereux où l'homme constitue l'interdit suprême.
Comment, dès lors, trouver sa place de femme ?
En suivant les traces de son père ou en suivant son propre instinct ?
Petit à petit, Sauvage se met à parler de l'identité.
Avec l'arrivée de Jesse et le secret qu'il porte en lui, Jamey Bradbury dresse le portrait d'individus en quête d'eux-mêmes et qui cherchent à comprendre ce qu'ils sont vraiment.
Cette quête initiatique saupoudrée de courses et de rancoeurs permet de capter l'essence même de l'adolescence, cette période charnière où l'adulte en devenir se cherche, pose ses limites et rêve à sa vie future.
Malheureusement, la vie réserve souvent des tournants imprévisibles…

Une Bête au paradis
Et ces tournants, Tracy va les subir de plein fouets, consumée à la fois par les souvenirs de sa mère, les attentes de son père, la différence d'un frère et l'amour inattendu d'un inconnu.
Tiraillé entre sa nature profonde et son envie de rester auprès des siens, l'adolescente souffre et endure. Jamey Bradbury décalque ses propres passions et guide le lecteur dans un endroit sur Terre qui pourrait être un Paradis vierge et plein de promesses.
Mais la vie ne sera pas aussi facile pour Tracy, bouffée par ses rêves de courses et de chasses, de grandes épopées et d'écrivains-aventuriers.
Finalement, Sauvage met en balance deux animalités, celle de l'homme capable de violer et de battre derrière une grange, et celle de l'animal buvant le sang de sa victime pour apprendre et survivre.
Mis face à face, ces deux paradigmes s'affrontent et servent de révélateurs, oubliant la tristesse de certains êtres humains brisés au milieu.
Le final, cruel et inattendu, prend le lecteur aux tripes et ne le lâche plus, l'emmenant loin dans le blizzard et le froid glacé, sur les traces d'une gamine qui a choisi d'être sans paraître.

Sauvage met le lecteur dans la peau d'une gamine aussi bestiale que diablement humaine.
Maîtrisé et poignant, le premier roman de Jamey Bradbury glace et réchauffe le coeur d'un même mouvement, communiquant passions et blessures au lecteur encore sous le coup de la majesté des vastes étendues qui l'entourent.
À consommer sans modération…
Lien : https://justaword.fr/sauvage..
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