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Critique de Anjali84


Au début du XXIe siècle, un phénomène, l'Intempérie (ou le Désert en version originale), dévaste l'Argentine. Voilà l'argument du troisième roman de Pedro Mairal, écrit juste après la crise argentine de 2001.

Dès le prologue, des éléments sont mis en place, qui trouveront leur explication au fil des pages. Nous sommes en présence d'une femme, dans un monde anglo-saxon : on parle anglais, la topographie urbaine est celle de la vieille Europe. Cependant le personnage est hispanophone et étrangère. Elle se présente comme dépositaire d'une mémoire et vit hors du temps, ce qu'illustre son travail de bibliothécaire.
Son histoire est celle de son pays natal, l'Argentine. Elle nous est contée comme une métaphore. Maria, réceptionniste de 23 ans, vit à Buenos Aires. Mais une rumeur court dans la ville : l'intempérie avance, tout va être détruit. de fait, toute modernité disparaît, les êtres sont séparés et le pays s'enfonce en l'espace d'une année dans les temps les plus reculés de son histoire.

Ainsi, le lecteur voit passer le film de l'Argentine comme une cassette vidéo qui se rembobine. El futuro es primitivo affirme l'auteur lui-même. A l'époque récente et à son instabilité politique, succèdent les heures noires de la dictature, les guerres d'Indépendance, l'immigration du XXe siècle, l'exploitation des terres agricoles au XIXe siècle, les cultures indiennes exterminées et enfin l'arrivée des premiers colons européens au XVIe siècle. La langue elle-même reflète cette évolution : les amis de Maria retournent à l'italien et à l'anglais, les langues indigènes se développent à partir de l'espagnol en un renversement ironique, Maria ouvre le récit en évoquant son mutisme.

Tout cela est exprimé sans didactisme et le lecteur devra reconnaître lui-même les périodes décrites. le rythme du roman est très rapide, lecteur comme protagonistes sont pris dans un tourbillon temporel qui ne leur laisse aucun répit.
Cette progression antéchronologique ancre l'Intempérie dans le genre fantastique.

Il faut aussi voir dans le roman une métaphore politique. La crise brutale de 1999-2001 conduit à la faillite de l'Argentine et le recul socio-économique est réel. le pays, si riche un siècle auparavant, passe du côté du Tiers-Monde. Il n'attire plus d'immigrants. Bien plus, nombre d'Argentins prennent le chemin inverse de leurs ancêtres, en gagnant l'Europe.

Nous n'aurons pas beaucoup de précisions sur ce qu'est ce « désert » qui détruit tout sur son passage : la corruption est physique et géographique, mais aussi humaine et violente. Ce thème est d'ailleurs devenu un topos de la littérature de crise argentine. La violence exprimée n'est pas liée aux narcotrafiquants, par exemple, mais à la déchéance du pays.

Maria, la narratrice, est prise au piège de cette régression. Figure de la jeunesse de son pays, elle ne comprend pas ce qui arrive, et ne peut qu'y assister, impuissante. Elle devient la mémoire vive de ses contemporains. C'est elle qui ne cesse de nommer les gens et les lieux de façon très précise : quartiers de Buenos Aires, rues, fleuves, port, banlieue. Elle tente de retrouver une familiarité dans des paysages ravagés. Elle remplace la voix des personnes anesthésiées ou tuées par la crise.

L'auteur s'est également amusé à introduire une grande intertextualité dans ces évocations : les lieux et les personnages nommés sont également issus d'une Buenos Aires littéraire, empruntée à d'autres oeuvres.
En tant que femme, Maria ne va pas combattre au front et devient le témoin privilégié des évolutions sociales de son pays. Ainsi, elle voit décroître les droits des femmes, se développer le racisme, encore prégnant aujourd'hui, envers les populations indigènes du Nord.

Elle-même d'origine européenne, à la fois Irlandaise et Espagnole, Maria se sent avant tout Argentine. Elle commence par refuser son retour en Europe. L'anglais, qu'elle maîtrise, n'est cependant pas sa langue maternelle, elle qui a été privée de mère très jeune. le personnage devient le symbole d'une jeunesse argentine en perte de repères durant la crise.
Lien : http://los-demas.blogspot.fr..
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