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Critique de Lelf


Lelf
15 février 2015
L'histoire de L'Histrion du Diable est forcément linéaire, puisque contant la vie d'Arlecchino depuis sa naissance jusqu'à ce soir important qui doit décider si le personnage d'Arlequin va continuer de vivre ou finir avec son créateur. Ce choix risqué aurait pu s'avérer monotone et pourtant, le jeu narratif est bel et bien vivant car Arlecchino est raconté au travers de ses rencontres et par ses amis, avec beaucoup d'émotions et de vie. Parfois les narrateurs interviennent dans le fil du conte, pour protester ou commenter, permettant revenir au présent par moments… L'ombre d'Arlequin navigue ainsi entre passé et présent et ces jeux narratifs permettent de dynamiser le récit en créant un parallèle entre l'homme presque anonyme et la légende qu'il a créée.
Ce choix de narration contribue à une certaine proximité entre protagonistes et lecteur, qui mesure la puissance et le poids contenu dans un simple habit, et il devient vraiment difficile de quitter la fine troupe à la fin.

Le lecteur découvre au fil des soirs une vie faite d'errance et de voyages, car les routes appellent Lecchino sans cesse. Cette vie sur les chemins est extrêmement riche en aventure et rencontres humaines. Et c'est autant d'occasions pour l'auteur de peindre le portrait de l'Italie (et une partie de la France) d'époque. Lecchino et ses amis croisent des figures historiques de pouvoir, des intellectuels, des artistes, des religieux… qui ont marqué l'Europe de l'époque, en proie aux luttes politiques et en conflit religieux avec deux papes. Car cette fin de Moyen-âge est plutôt agitée.

Si la grande histoire se dessine autour des protagonistes, la petite n'est pas en reste pour autant. le sort des petites gens est un sujet qui touche Lecchino et façonne son art. Violences des puissants, maladies, conditions de travail difficiles, mais aussi capacité à faire la fête, à porter un regard particulier sur la vie… toute cette richesse humaine touche l'histrion de près, car il en fait partie aussi et que ses semblables sont son premier public. Dans les moments de doute ou de malheur c'est cette richesse qui le ramènera le plus souvent sur les chemins de sa passion et le poussera à se surpasser.

Michel Maisonneuve prend tout de même des libertés, côté historique, et il ne s'en cache pas. L'annexe en fin d'ouvrage éclaire à ce propos de manière très intéressante. Malgré ces arrangements avec la réalité, l'auteur fournit un roman historique convainquant et très entraînant. le lecteur est marqué par les paysages sublimes, la violence et la rapidité des combats politiques, les différences notables d'une ville à l'autre, notamment dans le traitement réservé aux histrions. Et chaque rencontre est une source riche d'information sur l'équilibre des pouvoirs, l'ambiance d'une cité ou d'une région.

L'Histrion du Diable est un roman résolument réjouissant, particulièrement vivant. Au-delà de l'environnement historique et du récit de vie de Lecchino, l'auteur crée une ambiance théâtrale tout le long du livre. Celle-ci se ressent dans la narration au présent par Gianni et ses compères, histrions eux aussi, habitués à conter devant un public, qu'ils savent captiver par leur ton, leur attitude.
De nombreux mots italiens, latins, provençaux ponctuent le texte, lui-même rythmé par les farces de la troupe. Toute cette dynamique théâtrale entraînante et ce rappel constant aux langages d'époque rendent le récit très immersif.

Lecchino vit par le théâtre et par les pitreries, ce que fait particulièrement ressentir Michel Maisonneuve dans son écriture. Bons mots, farces, provocations, poèmes rythment le récit ; le spectacle gagne toujours, malgré les drames et les difficultés qui se dressent sur la route. Lecchino est un personnage intense, hypersensible, jusque dans ses instants de douleur. Il entraîne dans son univers ses amis proches et avec eux cherche à repousser toujours plus loin les limites du spectacle. Lecchino veut plaire, séduire, bousculer et surtout faire rire. Pour cela, il ne s'accorde aucun répit. L'auteur rend bien compte de cette hyperactivité, du génie qui tutoie parfois la folie.

Pour qui aime le théâtre, les beaux paysages italiens, les ambiances historiques ou tout simplement un beau récit riche, humain et touchant, L'Histrion du Diable est une lecture hautement recommandée.
Lien : http://www.imaginelf.com/201..
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