AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Biblioroz


Kim vit désormais à Paris et aujourd'hui, lui reviennent en mémoire les sons qu'il lançait de son clairon, la résonance des baguettes que son ami Arkadi faisait crépiter sur son tambour. Il se souvient de leurs marches d'été vers un « horizon radieux », ce qu'on leur promettait en tant que pionniers dans leur pays, la Russie. Il s'adresse alors à son ami, par delà le temps et la distance qui les ont séparés depuis l'âge de quatorze ans.
À la périphérie de Leningrad, ils vivaient en communauté dans trois bâtisses formant un triangle et abritant en son centre une cour où, lors des soirées chaudes d'été, les travailleurs jouaient aux dominos. Les babouchkas jacassaient sur le banc tandis que des odeurs de cuisine, des chocs de vaisselle, filtraient des fenêtres grandes ouvertes.
Il revient souvent sur les marches exaltées qui les occupaient chaque été, les chansons patriotiques aux pas cadencés proclamant le triomphe de leur nation. L'enfance filtrait les réalités et l'endoctrinement clarifiait l'horizon. Dans les souvenirs de Kim, l'auteur mêlent admirablement nostalgie heureuse d'instants partagés dans cette vie communautaire, moments d'amitié et de complicité et, le recul aidant, la vérité qui se cachait derrière cette « folie heureuse ».
À cette époque, les deux enfants ne savaient pas.
« Dans le bruissement du cuivre et le grognement doux du tambour nous crûmes discerner quelques vérités neuves qui n'avaient jamais visité nos jeunes têtes bien remplies de chansons sonores et de films héroïques. »

Du passé des parents, il ne savait pas grand-chose, ses questions étaient gentiment esquivées. Pourtant il aurait aimé que son père parle de son passé, de ses moments au front pour le confronter aux récits et chansons pleines d'héroïsmes. Mais la réalité était tout autre, en témoigne son père ayant perdu ses jambes à la frontière germano-polonaise. Iacha, le père d'Arkadi, est un rescapé d'un camp de Pologne. Dans cette habitation communautaire, il se charge de transporter sur son dos le père de Kim, tous deux ne formant plus qu'un seul homme. Une fois, alors que Kim joue à la guerre avec ses camarades, il surprend un récit des deux rescapés de la guerre, glaçant d'horreur.
Il voulait aussi connaître l'enfance de sa mère mais elle en disait si peu, des petites anecdotes étaient lâchées les soirs d'hiver alors que ses mains s'activaient à repasser un tas de linge glacé par l'air de la cour. Lorsque finalement, tardivement, les mères se livrent en évoquant un village sibérien et le siège de Leningrad, l'horreur glace de nouveau.

Une très belle écriture, aux doux accents poétiques, donne à ce petit texte d'Andreï Makine toute l'émotion que l'on peut ressentir en songeant à son enfance, un temps que l'on pourrait qualifier d'insouciant. Puis viennent des évènements de la vie qui signent la fin de cette enfance et le regard adulte montre alors des vérités plus cruelles sur son pays. C'est une lecture douce et amère, laissant une empreinte mélancolique intense avec le regret d'avoir perdu cette joie enfantine. En grandissant, les deux jeunes garçons ne sont plus dupes de la ferveur idéologique et l'interrogation de Kim « Pourquoi ces marches et ces chants ?» obtient ici des réponses vibrantes. le lien les unissant, ainsi que celui reliant leurs pères, m'ont également profondément émue.
Commenter  J’apprécie          374



Ont apprécié cette critique (33)voir plus




{* *}