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Critique de Valdimir


Comment développer une sensibilité française quand on grandit en Union soviétique après la seconde guerre mondiale ? Ce destin improbable, c'est la vie romancée de l'auteur. Enfant, il a reçu la langue française en héritage auprès de sa grand-mère maternelle comme un jeune arbre reçoit une greffe, et sa vie s'en voit modifiée à tout jamais. Cela nous est conté à travers un récit raffiné, à l'écriture délicate, mais qui laisse parfois place à des passages crus sinon cruels.
Le narrateur apprend le français à travers les souvenirs personnels de cette grand-mère adorée, née à Neuilly-sur-Seine : le Paris de la Belle Époque, l'inondation de 1910, la visite du tsar, les temps de la première guerre mondiale ; il rêve de ce monde inconnu, aussi vaporeux qu'une Atlantide, dont il découvre des parcelles dans des poèmes, des photos jaunies ou de vieilles coupures de journaux. Les hasards de la vie ont égaré cette femme à la personnalité rayonnante quelque part au fin fond des steppes sibériennes, nous ne saurons jamais pourquoi elle a choisi d'y rester. L'histoire familiale se déroule sur fond de révolution bolchevique avec ses prolongements de terreur stalinienne et de normalisation soviétique. le narrateur comprend en grandissant que la langue bizarre parlée par sa grand-mère n'est pas une simple excentricité mais un vrai langage, un fil d'Ariane, une clé qui lui ouvre la porte d'un univers dans lequel il se lance avec passion, dévorant tout ce qu'il trouve dans les bibliothèques. Il s'instruit et se documente, s'imprégnant définitivement de la culture française et de son histoire.
Cependant, sans qu'il en prenne vraiment conscience, la greffe française l'isole des siens, il se replie sur lui-même. Avec pour résultat qu'à l'adolescence, rejeté par ses camarades et confronté à la brutale réalité de la Russie soviétique, il doit se réveiller de cette illusion française. Il ne veut plus vivre entre deux mondes, il reproche à sa grand-mère de l'avoir "enfermé dans ce passé rêvé" en ayant fait de lui "un étrange mutant, incapable de vivre dans le monde réel". Il se révolte et revendique son identité russe, il lui faut expulser la greffe pour étouffer "ce second coeur" dans sa poitrine. Ce n'est qu'alors qu'il entrera dans la vie et connaîtra ses premières expériences. Il lui faudra du temps pour se réconcilier avec lui-même. Un jour, il décide de retourner vers sa grand-mère pour affronter son alchimie des souvenirs qui "transmute le passé". Lors de cette rencontre, il réalise qu'elle n'a que rarement l'occasion de parler sa langue d'autrefois et que sa solitude fait écho à la sienne. Une fois encore, il est ébloui par elle. Il finit par retrouver la sérénité en acceptant ses deux identités, russe et française. Quelques années plus tard, il fuira l'URSS pour venir vivre en France. J'ai été moins intéressé par cette dernière partie du livre mais c'était probablement inévitable, un regard adulte sur la réalité de la France contemporaine ne peut soutenir la comparaison avec la vision idéalisée d'une Atlantide parisienne sortie des limbes du souvenir.
Au-delà d'une histoire particulière, on trouve dans ce récit une réflexion émouvante sur le rapport de l'imaginaire avec la réalité, et la part de la transmission dans ce qui constitue notre identité. On a pu écrire que la mémoire représente le thème majeur du roman français. Ode à la langue et la culture françaises, cette oeuvre en est une magnifique illustration. Il est permis de se demander ce que l'académicien Makine pense aujourd'hui de ses confrères en habit vert dont les mérites littéraires paraissent parfois bien éloignés de ce qui l'a tant fait rêver.
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