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Critique de Fleitour


Ce grand texte, l'Homme de Kiev, est-il une transposition
de l'affaire Dreyfus ?
L'écriture de Bernard Malamud, fils de migrants russes, pour son quatrième roman, semble bien aspiré par les événements qui ont suivi l'arrestation du capitaine Dreyfus en 1896.
Douze années avant que soit prononcée la grâce présidentielle.


C'est en réalité une autre affaire qui va servir de trame à L'Homme de Kiev, l'affaire Beilis. Menahem Mendel Beilis est né dans une famille juive pieuse.
Juif ukrainien il est accusé d'avoir commis un crime rituel en 1911. le procès, déclenchera une vague de critiques contre la politique antisémite de l'Empire Russe .


A travers les anecdotes de la vie de Yakov Bok, on s'immerge dans l'environnement de l'homme de Kiev. Il s'est par son abnégation au travail, peu à peu intégré, son centre de gravité, est la briqueterie pour laquelle il travaille au service de Nikolai Maximovitch ; page 71 celui-ci implore Yakov , "j'aimerais que vous y exerciez en quelque sorte le rôle de gérant pour tenir la comptabilité et, somme toute, surveiller mes intérêts".

La Briqueterie devient alors par une fracassante suite de faits obscurs, le centre d'un drame d'une extrême gravité puisqu'un jeune garçon de 12 ans est retrouvé assassiné du nom de Zhenia Golov .
Dès les premières pages les soupçons se porteront sur Yakov, non parce qu'il était là, mais parce qu'il était juif.


Yakov est le contraire du criminel, du casseur, de l'exalté et encore moins d'un voleur. Il s'impose même très vite comme un belle âme au service de l'humanité, un réparateur prêt à partager, prêt à rendre service contre ses propres intérêts, d'ailleurs le réparateur c'est son nom.


C'est avec empathie que les lecteurs prennent connaissance de son destin marqué par la solitude et la malnutrition.
Page 19 il explique, "j'ai vécu dans un orphelinat puant et je me suis borné à exister. Dans mes rêves je mangeais et je mangeais mes rêves."
Et pour gagner ma vie j'ai dû gratter la terre de mes ongles."

Mais Yakov est intelligent il sait lire, il a lu certains auteurs, il maîtrise de façon étonnante les textes sacrés, comme les positions religieuses des chrétiens ou des juifs, il commente la Torah , mieux que le prêtre orthodoxe qui cherche à travers des discours fumeux, à expliquer pourquoi les juifs se prêteraient à des sacrifices rituels.

Il a ces mots terribles, que pourrais-je avouer dit il page 288, mes souffrances, un point c'est tout, mais certainement pas le meurtre de Zhenia Golov.


Puis dans la foulée, il apprend que Bibikof a été remplacé par un autre magistrat, celui qui avait pourtant compris, la machination qui s'était mise en route, car il était juif, pour le détruire.


Page 188 le procureur le met en garde, "dans un passé encore récent, les juifs on les pendait coiffés d'un bonnet rempli de poix brûlante en compagnie d'un chien pour bien montrer au monde l'immensité de notre mépris."

Suivra alors ce dialogue fabuleux
- Un chien pend un chien, votre Honneur
- Si tu n'es pas en état de mordre, ne montre pas les dents, Yakov.


Yakov aura aussi cette impudeur de souligner la bêtise des accusations portées sur la confection des matsot, « dérober le sang d'un enfant chrétien » pour sa confection : de grâce, votre Honneur dit Yakov page 186 croyez-vous réellement à ces histoires de magicien vous êtes un homme instruit, et ne pouvez pas croire à de pareilles sornettes.
Et plus loin encore : « et voilà le vôtre de nez, un nez court et charnu aux ailes épatées. »


L'obstination de Yakov, le conduira fatalement à une situation prévisible, comparable à celle d'une grève contre la faim, uniquement pour faire valoir son droit à la dignité.


L'intrigue menée par Malamud et d'une implacable et terrifiante précision, elle peut se résumer à cette simple constatation, chaque geste de Yakov entrepris pour servir et réparer, est un geste qui se retourne contre lui, invariablement, comme une machination diabolique.


Tout ce qu'il a entrepris n'aurait été mis en oeuvre que pour cacher son statut de juif.
C'est imparable. Il n'y a que la croyance du caractère mensonger des juifs, « la perfidie des juifs », la croyance du caractère intrinsèquement cruel de cette communauté, qui peut conduire une personnalité instruite à condamner quelqu'un parce qu'il était juif, pire « un juif déguisé ».

Croyons-nous que le monde a changé, croyons-nous que des jugements aussi cruels n'ont pas été commis, l'auteur de l'Homme de Kiev nous affirme que rien n'a changé.
Pourquoi alors mener Yakov négocier un compromis comme il lui est proposé, on te libère mais à aucun moment tu ne seras lavé de ton crime, même si page 389, on révèle une infâme supercherie d'un bout à l'autre mais intrinsèquement liée à la situation politique.


Dans les dernières pages il se réfère à Spinoza, "si l'État agit d'une façon que la nature humaine réprouve le moindre mal et de le détruire, mort aux antisémites, vive la liberté."

À celui qui lui rappelle la vie du capitaine Dreyfus qui est passé par les mêmes épreuves il ajoute page 391, j'ai pensé à lui ça ne m'a pas aidé.

En terminant ce livre j'ai pensé aux Irlandais, à l'Irlande du Nord et à Bobby Sands, qui ne demandait qu'une chose, être reconnu pour ce qu'il était un opposant, un opposant politique, face à une machine de guerre impitoyable. Bobby Sands malgré le faite d'être député est mort au 65e jour d'une grève contre la faim avec six autres de ses compagnons. Eux aussi sont morts à cause de leur appartenance à l'Irlande catholique du Nord.


L'homme de Kiev est un chef-d'oeuvre, un livre pas seulement admirable mais indispensable, pas seulement intéressant pour son écriture, mais par nécessité, car il bat au coeur de notre humanité
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