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Critique de michfred


Après Tardi, les frères Brizzi et Chistophe Malavoy ont entrepris de mettre Céline en images ou plutôt, en ce qui concerne Tardi, de mettre quelques images sur le délire verbal de Louis-Ferdinand et l'équipée hallucinée de Bardamu.

Le travail de Tardi donnait du texte une iconographie distanciée, ouvrant çà et là de sombres fenêtres sur la nuit célinienne: le texte restait la référence essentielle- respecté, intégral, sanctuarisé par les grandes pages des éditions Gallimard.Plus de 300 larges pages qui permettaient au lecteur assidu ou occasionnel du Voyage d'en faire un, lui aussi, de voyage, moins violemment cantonné à sa seule imagination, mais qui le guidaient quand même, avec noirceur et beauté, dans cette descente aux enfers céliniens...

Rien de tout cela avec cette B.D. de Brizzi et Malavoy: c'est une vraie mise en images, un découpage scénarisé et presque un story-board des trois livres de Céline appelés "la trilogie allemande" ( ou nordique)- empruntant sa trame à la folle cavale de Céline à l'heure de la défaite allemande , racontée dans D'un château l'autre, Nord et Rigodon. Le texte de Céline y est présent, bien sûr, mais dans des phylactères, dans la bouche de protagonistes incarnés, grimaçants, grotesques, pathétiques. Dans les commentaires à la première personne du Narrateur.

Soit quatre personnages principaux: Louis, dit Ferdine,le Docteur Destouches dans le civil, le narrateur maudit, Lucette Almanzor dite Lili, son épouse, la danseuse gracieuse, Bébert le chat, imperdable et diaboliquement débrouillard dans ce chaos apocalyptique, et enfin, last but not least, Le Vigan, dit la Vigue, l'acteur inoubliable des Disparus de Saint-Agil, fraîchement échappé du tournage des Enfants du Paradis et des engeulades sévères avec une autre collabo' de choc et de charme: Arletty ( dont on n'oubliera jamais la réplique, au moment de l'Epuration: "Mon cœur est français, mais mon cul est international!"). Raide fou, la Vigue.

Notre joyeuse bande de pieds nickelés traverse donc la Suisse, l'Allemagne, le Danemark, à la recherche d'un abri -et de l'or que Céline-- la -Pince avait caché chez une amie au Danemark: le vent a tourné, il ne fait pas bon , pour nos deux compères masculins, avoir écrit Bagatelles pour un massacre ou avoir proféré mille injures antisémites sur les plateaux de tournage, ni même être la femme ou encore le chat d'un collaborateur ayant ses entrées dans les ambassades du Reich..

Donc c'est la débandade- mais avec passeport patenté y compris pour le chat, argent cousu au petit point dans la doublure de l'éternel gilet, bagages et même une arme, délicate attention du fonctionnaire de service allemand...

Occasion pour nous de croiser les doux visages de quelques ordures patentées elles aussi: Pierre Laval, Philippe Pétain, qui ne sont plus à présenter, Fernand de Brinon, homme à tout faire de Laval et officiellement, président de la commission gouvernementale, le gouvernement en exil de la collaboration: Jean Luchaire, à l'Education, Joseph Darnand, chef de la Milice, Marcel Déat, ministre du Travail...Et j'en passe....Belle brochette de salopards...

On goûte au vol quelques perles céliniennes: "Je ne suis pas très germanisant, c'est vrai, surtout avec l'autre ballot, là, qui est en place... fripouille cent pour cent...gâteux fini... surbranlé...vaut tout juste un contrôleur de métro!..." perle lancée, celle-ci, après réception du passeport, au fonctionnaire allemand de la préfecture, qui n'a rien dû comprendre , car elle est proférée en s'en allant, dos au portrait d'Hitler sur le mur ...Courageux mais pas téméraire, le Ferdine...

D'ailleurs c'est ce que je retire de ce Voyage au bout de la honte : Céline s'y montre un homme aigri, vociférant, radin, prêt à toutes les compromissions pour échapper au sort qui le menace, y compris coucher -car il était encore beau gosse, le médecin des pauvres- avec les Allemandes les plus grasses et les plus nympho' de ce ramassis de "blattes de chiottes" -c'est pas de moi, vous pensez, je ne me permettrais pas!!!

Alors? résultat des courses? Que pensé-je de ce livre?

Un bon moment- scénario efficace et dessin magistral, mais le texte m'a manqué..Cette lecture m'a surtout donné, une fois de plus, la honte de ne jamais être arrivée à lire cette foutue trilogie allemande -ou nordique- malgré mes multiples tentatives..Sans doute parce que je redoutais d'y trouver un Céline atroce, compromis, haineux, avare, lâche, injurieux ...bien loin du pathétique Bardamu de Mort à crédit et du Voyage,encore très fréquentable et si humain dans la débine...

Confirmation après lecture de la B.D.: le Docteur Destouches est bien conforme à mes pires appréhensions..

Une seule échappe au massacre: Lucette, aérienne, douce, incapable de haine , mais pleine de convictions qu'elle défend parfois vigoureusement à coup de sac à main, contre les deux affreux, La Vigue et La Ferdine, Lucette, la mère au chat, dont j'ai suivi péniblement pendant un an, dans le petit pavillon de la route des Gardes, les contorsions orientales dans son salon plein de miroirs,où , toute vieille mais encore souple, elle donnait des cours de danse...

Par curiosité pure: je suis souple comme un manche à balai . Mais voir l'antre de l'ogre faisait passer bien des courbatures...Je l'ai retrouvée dans la B.D. plus jeune, mais toujours aussi éthérée, comme un petit elfe malicieux égaré sur cette terre de brutes.

Malavoy lui dédie son livre: il a bien raison, elle en est toute la grâce..
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