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Critique de Apikrus


Aline est ouvrière chez Wooly, une usine de textiles dans l'Oise.
Son mari Christophe est chef d'équipe dans une verrerie.
Leur fille aînée, Léa, prépare un Bac, section 'Sciences Economiques et Sociales'.
En cours, elle a notamment appris ce qu'était le paradoxe d'Anderson : l'acquisition par un enfant d'un diplôme supérieur à celui de ses parents ne lui assure pas nécessairement une position sociale plus élevée.

La délocalisation d'activités industrielles concerne cette famille, et pas seulement à travers les programmes d'économie de Léa. Les emplois évoluent, et les travailleurs doivent s'adapter : quitter des activités en perdition sur nos territoires pour aller travailler dans celles qui cherchent de la main d'oeuvre.
C'est facile à écrire dans les manuels d'économie, mais c'est plus difficile à faire lorsque l'on s'est endetté pour acheter une maison et que l'on a toujours travaillé dans la même entreprise.
Non, il ne suffit pas toujours de traverser la rue pour trouver du travail… surtout quand il n'y a rien en face.
C'est ce qu'illustre parfaitement l'auteur à travers l'histoire de cette famille. Il le fait de manière souvent imagée, sur le registre dramatique et avec quelques touches d'humour bienvenues, même si cet humour s'assombrit peu à peu et que l'on rit finalement jaune.

Ce roman est construit à partir d'une fine analyse sociologique de la situation de bassins français en cours de désindustrialisation, insistant sur le vécu des personnes concernées.

J'ai été sensible aux drames de ces individus, à la perte de leurs repères. Parallèlement à cette lecture, je lisais 'L'archipel du Goulag' de Soljénytsine, et cette lecture-ci ne peut qu'inviter à relativiser les choses...

Le récit de Manoukian est une sévère satire sociale de nos sociétés capitalistes.
A mon avis il met en évidence d'autres paradoxes que celui d'Anderson.
L'un de ces autres paradoxes se retrouve dans certains discours politiques en France, notamment dans celui des communistes français depuis des décennies (communistes à qui l'auteur dédie son livre). Selon eux, il faut répartir les fruits du travail et du capital plus équitablement, pour une société meilleure qui ne soit plus fondée sur l'argent comme unique valeur. Or l'articulation entre les deux propositions de cette phrase n'est pas évidente, malgré l'habillage idéologique censé les relier. Dit autrement : sans se l'avouer, les communistes français sont passés du marxisme au keynésianisme.
De fait, ce que réclament en réalité ces personnes, c'est la poursuite d'une société de consommation de masse, à condition qu'elles puissent en profiter davantage. Cette contradiction renvoie d'ailleurs aussi à la contradiction entre une idéologie révolutionnaire et le choix, aussi affiché, d'inscrire le changement dans le cadre démocratique.
Le Plan de relance de 1981 a vécu, mais certains politiques présentent encore la relance du pouvoir d'achat comme la solution miracle au chômage. La péremption de ce schéma ne date pas des récents débats sur le réchauffement climatique, puisque dès 1972, le Club de Rome se faisait connaître en publiant « les limites de la croissance »…
Un récent mouvement de contestation remet ce débat sur le devant de la scène, et le livre de Manoukian a le mérite d'en présenter des éléments d'explication.

Ce livre émouvant invite à la réflexion, en plaçant l'humain au centre de cette réflexion. Les constats qu'il pose sur l'état de notre société sont intéressants, quelles que soient les conclusions que chacun en tire.
Le repli sur soi (identitaire, et le protectionnisme qui l'accompagne souvent dans le discours de certains) me semble clairement posé comme une fausse solution, à juste titre.
Ce propos de Manoukian est d'autant plus utile que ceux dont il se fait le porte-parole ici sont perméables à ces discours de haine simplistes et dangereux…

Certains lecteurs pourront cependant ne pas apprécier un mélange de genres inhabituel, comme Sizlig.
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