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Critique de Sachenka


Poison et ombre et adieu vient clore maistralement cette trilogie, ce défi littéraire, ce roman d'espionnage qui n'en est pas un. Il est à l'image des tomes précédent, Ton visage demain constitue une expérience en soi, et ce à tous les niveaux. C'est dense et touffu (beaucoup d'informations et dans un style proustien) mais, en même temps, si on l'accepte et on se laisse guider par la main de maitre de Javier Marias, on ne peut qu'en sortir étrangement et agréablement satisfait.

Le lecteur se rappellera que, dès le premier tome, Jaime (ou Jack ou Jacques), cet universitaire et traducteur espagnol, avait été recruté par une branche des services secrets britanniques. Ses tâches consistaient essentiellement à traduire et à donner son avis sur des questions touchant plus spécifiqauement les pays hispanophones. Puis, son rôle a évolué. Mais je vous préviens tout de suite, même si on assiste à des échanges musclés, quelques filatures et rixtes, on est loin des James Bond avec ses péripéties invraisemblables et ses gadgets technologiques incroyables. Ils sont capables de se montrer froids, calculateurs et implacables mais se sont surtout des intellectuels qui adorent discourir philologie, art, histoire, politique, etc.

Et ça paraît aussi dans la façon dont l'intrigue se déroule. En fait, j'aurais pu aussi bien écrire les intrigues, car au début elles semblent nombreuses et assez difficiles à cerner. J'avais l'impression de lire un long préambule. Une collègue traductrice, la jeune Pérez Nuix, demande un service personnel à Jaime. Et là l'auteur s'emballe. Toutes les actions, toutes les paroles sont analysées de mille manières. Il y a le choix des mots, qui sont une occasion pour s'interroger sur l'étymologie (impossible de se défaire du linguiste en soi !) et sur les comportements humains. Par exemple, quand quelqu'un te demande un service et que tu auras auras droit à sa reconnaissance éternelle, le pense-t-il vraiment ? Javier Marias peut disserter quatre ou cinq pages sur un sujet pareil. Mais de tels sujets sont nombreux dans ce bouquin. Personnellement, j'ai trouvé cela très intéressant mais je peux comprendre que certains puissent trouver cela un peu lourd.

D'autant plus que Jaime Deza et ses collègues, particulièrement Peter Wheeler, adorent discuter. C'est que son mentor est sur ses vieux jours, il en a des choses à raconter. Et on a l'impression qu'ils ne font que ça. Leurs échanges sur les « Careless Talks » et les Guerres mondiales, quelle érudition ! Et quand Marias y ajoute quelques documents d'époques, des affiches, des photos, ça me fait penser aux romans de G.W. Sebald.
Mais bon, je m'égare un peu. Toute l'expérience que Jaime Deza a accumulée auprès de son organisation (traduire, décrypter la vérité dans le comportement des gens, les suivre en filature et même les effrayer), tout cela, ça ne pouvait que constituer la préparation à ce qui allait venir. Mais attention, pas là où on pourrait le croire, il ne sera jamais un agent sur le terrain. Plutôt en vacances chez lui, à Madrid, il retrouve de façon impromptue Luisa, son ex-femme et mère de ses enfants, qui a un oeil au beurre noir et ses soupçons se portent sur le nouveau petit ami Esteban Custardoy. Que faire ? Il ne peut laisser une telle ordure rôder autour de ses enfants. Ce sera ça, sa grande aventure.

C'est là que le talent de Marias est éclatant. Son personnage met à contribution tout ce qu'il a appris ces derniers mois : s'informer sur Custardoy, le suivre en filature, se procurer une arme, etc. Quand le moment opportun arrive, Jaime tient Custardoy en joue et garde le doigt sur la détente pendant presque trente pages. Une éternité ! Alors qu'on se demande ce qu'il fera, il pense à un tas de choses, à ce qu'aurait fait Tupra, à la jeune Pérez Nuix, aux tableaux qu'il a vu récemment et qui représentaient la mort, etc. Finalement, il se contentera de le menacer, de lui faire peur, ou de l'éliminer ? Quel suspense !

La trilogie Ton visage demain est une grande oeuvre, elle continue à m'habiter encore plusieurs jours après l'avoir terminée. Elle ne convient sans doute pas à tous les lecteurs et c'est dommage. Ma suggestion : armez-vous de votre courage et foncez !
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