Comme une chose peut changer avec le regard qu’on y porte. C’est comme si…
Parfois, quand je veux affuter mon regard sur ma vie quotidienne, échapper à l’encroûtement qui menace tous les hommes de mon milieu, mettre un peu de poésie dans ma vie, rendre une soirée romantique plus aventureuse, il m’arrive de faire des folies.
Il n’y a pas besoin d’être tout-puissant pour changer les choses, il suffit d’écouter sincèrement les gens.
Le langage est un pont jeté entre deux abîmes, et ce qui est incroyable, c’est que nous pouvons traverser ce pont et cette distance infinie.
Souvenez-vous de Newton qui faisait des conférences devant une salle vide, ou de Planck qui oubliait ses découvertes dans un tiroir pendant des années. Pourquoi la linguistique serait-elle moins prenante pour l’esprit que les sciences dures ? Croyez-moi, j’ai essayé vingt fois d’arracher le Dr Clarke et ses étudiants à la préparation de leur atelier sur les métaphores visuelles.
Après tout, Andrea était encore un vigile. Très séduisant et très doué, mais un vigile tout de même. Un vigile peut bien avoir un avis frai et neuf sur certaines questions philosophiques, mais de là à « donner des clefs », il ne faut pas exagérer. Consciente que de semblables remarques pourraient gâcher cette soirée magique et surtout ruiner son adorable enthousiasme, je les gardai pour moi. Hélas, mon visage trahit ma pensée, et je lus sur le sien qu’il était un peu vexé, quoique reconnaissant pour mon silence.
Certes, il ne faut pas se laisser abuser par les mots, mais il faut aussi les écouter vivre de leur vie propre, une vie qui nous échappe et qui nous trompe parfois, mais qui nous force à nous élever au-dessus de nous-mêmes.
Ma conférence hélas avait depuis longtemps perdu cette fraîcheur exaltante. La grammaire était bonne, la logique même était bonne, mais ce n’était pas du langage, c’était un système froid et sans vie, sans aucune idée véritable. Nous-autres chercheurs aimons éviscérer chaque phrase, dénoncer dans chaque mot un agglomérat mensonger d’idées et d’émotions arbitraires accumulées au fil des siècles. Nous essayons de tuer le langage, de le dessécher pour ne plus en être dupe. Le résultat, c’est que nous tournons à vide, et que la plupart du temps, nous parlons pour ne rien dire.
Tous les animaux communiquent d’une façon ou d’une autre, mais le perroquet ne fait que répéter ce qu’il entend sans en comprendre le sens.
La plupart des hommes que j’avais connus m’avaient toujours donné l’impression que ma culture ou mes idées n’étaient que des conventions étrangères au monde, des formules que j’avais docilement ingérées par arrivisme ou par servilité. L’éminent professeur avec qui j’étais sortie un an et le livreur de journaux qui me croisait tous les matins m’avaient toujours considérée comme une oie blanche imperméable aux complexités de l’existence. Mes diplômes n’avaient rien à voir là-dedans.