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Critique de mercutio


Autant surprenant que passionnant et ambitieux, ce "Jean Barois" de R. Martin du Gard.

Dans cette photographie instantanée de la France d'avant 1914, il saisit les tendances d'évolution structurelle de la société: d'une part, le formidable ébranlement du catholicisme, matérialisé par les questions posées par l'exégèse historico-critique des textes canoniques (cf Alfred Loisy et autres) mais provoqué plus fondamentalement par les progrès de la science et le besoin qui se généralise de penser par soi-même sans oeillères; d'autre part, le développement des idées socialistes et la remise en cause des ordres établis, en premier lieu la bourgeoisie et l'armée.
Bien entendu, les deux plans interfèrent et se croisent de multiples façons.

L'entremetteur très humain de la mise en scène de ces bouleversements sociaux est Jean Barois, homme instruit, élevé dans la tradition catholique qui adhère passionnément à la foi scientiste mais finit par s'effrayer, à la perspective de la mort, de ne pas percevoir le sens profond de sa vie, malgré ce qu'il en a fait. Ce n'est pas encore tout à fait l'absurde de Camus mais ça le laisse présager; au point qu'Albert n'a pas refusé de préfacer les oeuvres complètes de Martin du Gard dans la Bibliothèque de la Pléiade. NB: pour fermer la porte à toute ambiguïté, je précise que j'assume seul le rapprochement sémantique effectué ci-dessus.

On croyait s'embarquer dans un ouvrage centré sur le thème religieux; or, celui-ci sans être du tout esquivé - d'autant moins que le destin romanesque des protagonistes le percute à plusieurs reprises- est assez vite supplanté par la dimension donnée à l'Affaire Dreyfus -peut-être de façon un peu excessive d'ailleurs- et l'évolution générale des mentalités aux plans politique et social.

La forme littéraire adoptée par Martin du Gard est étourdissante et révolutionnaire.
Révolutionnaire, car, aux dires de Camus, ça ne s'était jamais fait avant et ça ne s'est jamais plus fait après (la préface déjà citée date de 1955).
Étourdissante, car le plaisir de lire est démultiplié par l'accord global trouvé entre le rythme du texte (la forme) et celui des idées et événements rapportés (le fond): des descriptions de contexte réduites à l'essentiel, par de courts préambules aux paragraphes, par des phrases brèves, sonnant clair, répercutant parfaitement l'ambiance; des dialogues animés et toniques, rendant compte avec efficacité des idées, argumentations ou états d'âmes des acteurs; l'insertion de lettres échangées. "Style théâtralisé" écrivait, de façon pertinente, dans sa critique papillon-lf.

La photo n'a pas jauni ni pris une ride; elle est bien sûr en noir et blanc, époque oblige; mais sans clichés! Les amateurs savent que celles-là suscitent les plus belles émotions.
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