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Critique de courtoismartine


Olivier MARTINELLI, L'homme de miel, Christophe Lucquin éditeur, Paris, 2017.

Quarante-neuf textes courts et une postface, ou cinquante petits chapitres si l'on considère qu'ils racontent une histoire. Elle est très simple : un homme apprend qu'il a une maladie mortelle, et il décide de la refuser. le « Memento mori » initial va se transformer en « Souviens-toi que tu vas vivre. »

Le diagnostic (myélome), les biopsies, les opérations, la radiothérapie, les analyses, la rééducation, comment traverser tout cela, comment faire ce parcours de combattant pour finir sur ce moment apaisé où l'homme regarde le ciel limpide, avec ses deux enfants blottis contre lui ?

Les enfants, justement, il faut vivre pour eux, ne pas les abandonner trop tôt : « Je n'avais plus peur pour moi. J'avais peur pour eux… Peur de l'absence que j'allais leur offrir. » Mais la nécessité de préserver leur futur trouve sa source dans le passé familial, l'amour des parents et des grands-parents, une affection qui transforme l'arbre généalogique en arbre de vie où les sucs de la terre montent dans chaque branche jusqu'au ciel : « ce sont encore ces racines qui me permettent de me tenir droit aujourd'hui. »

L'Homme de miel repousse la maladie en refusant de s'apitoyer sur lui-même. « Non, je n'avais pas le droit de me plaindre », dit-il après l'attentat de Bataclan. Cette attention aux autres se manifeste tout au long du récit par l'observation du personnel soignant, infirmières ou médecins. Au lieu de s'enfermer dans sa peur ou sa douleur, même aux moments les plus difficiles, il reste ouvert aux autres. Il y a très peu de dialogues rapportés dans ce livre, mais des échanges de sourires, et des mimiques. « Sa peau [la radiothérapeute] est dorée par un métissage heureux. (…) Elle me sourit. Je lui souris en retour. Oui, je pense aux épreuves qui m'attendent. Et je souris. » Et quand l'hématologue découvre les résultats d'une analyse, ralentit son débit et plisse le front, voilà que le patient l'aide : « Pour lui faciliter la tâche, j'ai essayé de ne pas perdre mon sourire alors qu'il redressait son visage vers moi, son visage de mauvaise nouvelle. »

Et puis l'oeuvre à faire le maintient aussi en vie, car il se sent envers elle autant d'obligations qu'envers ses enfants. Il faut vivre pour continuer à écrire. Mais dans cette continuité, la maladie introduit une inflexion, facilitée par l'ami peintre, Eddie Morano, qui incite l'Homme de miel à sortir de ses sentiers battus, à changer de voie et de voix. « Peut-être, au fond, que, grâce à Eddie, ce myélome a fait surgir de moi des choses dont je me croyais incapable. Et contre toute attente, peut-être sera-t-il une chance dans ma vie. »

Chance pour le lecteur aussi, car le myélome a fait ce livre, L'Homme de miel. Il fallait mettre la maladie en mots, mais sans tricher ; et là, le style sobre qu'on a pu apprécier dans les précédents livres d'Olivier Martinelli sonne toujours juste : pas de fioritures, pas d'enflure pathétique, pas d'enrobage dans les métaphores. Les rares images qu'on rencontre n'en sont que plus fortes. « J'ai salué le radiologue. Fragile comme un papillon, son sourire m'a effleuré l'omoplate sans oser s'y poser. Je ne sais pas si j'ai réussi à le lui rendre. Je suis remonté en voiture. » Celle-ci est dans le texte « Essuie-glaces », où l'Homme enclenche les essuie-glaces parce qu'il a « les joues inondées de peur ». Autre image qui restera au lecteur, ce paysage où l'Homme de miel change sa trajectoire : « Cette mort annoncée n'était plus cette falaise qui allait suspendre ma course. Elle était ce précipice dont je suivrais le tracé dentelé, dont je longerais la frontière avec le vide. »

Dans le combat contre la maladie, l'humour aussi est une défense. Il y a des épisodes amusants, comme « Ambulance 1 », où le narrateur prend tous les matins une ambulance « pleine de morts » parce que le chauffeur raconte les histoires de ses clients précédents. « Toutes les histoires sont différentes. Mais la fin est toujours la même. Elle arrive impitoyable, au moment où je commence à m'attacher au personnage. Quelquefois, je me prends à espérer que son nouveau récit se finira bien. Mais non, jamais personne ne survit au monologue de mon ambulancier. »

L'Homme de miel a le sens du jeu, il a gardé une part d'enfance qui tout à la fois l'empêche de céder au tragique et cache pudiquement ses émotions. Il se voit jouer à la bataille navale avec le radiologue qui lui annonce « Tumeur en C7 » ; il fait des concours de cicatrices avec sa cousine ; il « s'amuse bien » en portant un masque pour la radiothérapie ; ou il passe des heures à essayer de faire passer une petite boule de métal à travers un labyrinthe sous verre, en vain, mais si cette lutte sans issue est l'image possible de la maladie, elle n'en reste pas moins l'expression d'une liberté totale, celle de l'enfant qui joue, hors de toute contrainte.

Humour encore, le jeu sur les mots, comme ce « Radieux actif » que le narrateur lance à une collègue quand elle le félicite d'avoir l'air radieux, alors qu'il sort d'un T.E.P. Scan. Mais cette liberté prise avec les mots peut aussi transformer en poésie leur charge néfaste. « Mon cancer a un drôle de nom. […] Mon cancer s'écrit myélome et je ne peux m'empêcher de penser “miel-homme“. Il me paraît plus doux, du coup, moins agressif. »

Tous ceux qui ont peur de prononcer le mot « cancer », comme si la mort était dans les mots, devraient lire ce livre combatif, tendre, drôle et poétique, où les mots font vivre.

Martine Courtois

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