AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Titine75


Lorsque l'on ouvre “La tour de guet”, on ne sait pas dans quel pays se situe l'action ou à quelle époque. le jeune narrateur évolue sur des terres gouvernées par des seigneurs qui sont assujettis à un roi extrêmement lointain et cela nous fait immanquablement penser au Moyen-Age. Il naît alors que son père, un petit noble, est déjà âgé et ses trois frères en âge de quitter la maison. La mère rechigne à s'occuper de son dernier enfant affligé d'une laideur repoussante. Rapidement l'enfant est totalement seul : la mère part dans un couvent, les frères commencent leur apprentissage de chevalier et le père se laisse aller à ses vices en dépensant tout son argent. Il apprend alors à se débrouiller seul, à chasser, à monter à cheval, à se servir d'une épée. Tout cela lui est très utile lorsqu'il doit quitter la demeure familiale pour le château du baron Mohl où il doit faire son apprentissage de chevalier. Notre jeune héros est totalement fasciné par ce nouvel univers : “Peu de temps dut s'écouler après mon arrivée pour que me sautât aux yeux la différence qu'il y avait entre le château, ses us et coutumes fastueux, et le climat, les usages, la maison et la personne de mon père. de plus lourdauds que moi auraient apprécié sans grande difficulté un tel fossé, et supporté, comme je le faisais moi-même, l'étourdissement et la confusion que cela provoquait dans mon esprit.” Notre narrateur va devoir s'adapter à ce nouveau monde sous l'autorité du baron Mohl et sous le regard menaçant de ses trois frères.

La tour de guet” de la grande romancière espagnole Ana Maria Matute est un roman d'éducation. Nous suivons l'évolution du narrateur, son apprentissage. Dès sa naissance, il vit dans un monde brutal, ses frères surtout le maltraitent : “S'ils me rencontraient, ils m'administraient des coups de pied, des insultes et des crachats (…).” La seule forme d'éducation qui apparaît dans le récit est la scène du bûcher. Des femmes sont accusées de sorcellerie et brûlées vives. La mère y traîne le narrateur pour l'effrayer, l'éducation se fait par la peur. L'enfant est profondément marqué par ce châtiment, le lecteur aussi d'ailleurs car le récit en est magistral. Il doit évoluer dans un monde cruel aux moeurs monstrueuses. Tout au long du roman, le narrateur cherche un sens à sa vie, il questionne sans cesse le bien et le mal. Il pense trouver des réponses en entrant au service du baron Molh qui le prend sous sa protection. le baron est un personnage fascinant, imposant, puissant. Il s'impose vite comme une figure paternelle. Mais l'enfant, en entrant dans son intimité, découvre que le géant a des pieds d'argile. le baron est vieillissant, il aime les jeunes adolescents, sa chair est finalement aussi faible que celle du père du narrateur. le jeune héros se retrouve plongé dans un abîme d'interrogations, de visions prémonitoires dont il ne sait comment sortir.

Ana Maria Matute crée un monde fantasmagorique pour raconter l'histoire de son héros. On se trouve plongé en plein Moyen-Age, une époque de transition entre la sauvagerie et la culture. le baron Mohl le symbolise très bien, lui qui est capable de tuer violemment un jeune amant en le donnant en pâture à ses chiens et qui est également extrêmement raffiné dans sa vie quotidienne. C'est également le moment du passage du paganisme au christianisme. Se confrontent les dieux anciens, perdus, et le dieu unique. L'univers où évoluent les personnages est encore en grande partie irrationnel, peuplé de monstres comme le dragon, d'ogre et d'ogresse (le baron et sa femme), de cavaliers blancs et noirs personnifiant le bien et le mal, de chèvres sacrées. L'écriture de Ana Maria Matute est puissamment évocatrice et elle nous plonge dans ce monde halluciné . le style est riche, expressif, imagé et il accompagne parfaitement ce monde brutal et changeant. C'est la grande force de ce livre.

Si vous ouvrez “La tour de guet”, vous vous retrouverez plongés dans un univers effrayant, violent qui évoque un tableau de Jérôme Bosch. Mais ne vous y trompez pas, Ana Maria Matute ne parle pas uniquement du Moyen-Age et une des résolutions de son héros est très actuelle : ” Je me promis de ne jamais plus participer à une vie qui n'était pas ma vie, me mêler et me confondre à une race qui subsiste et gravit à force de coups, de ruses, de renoncements, de désespoir, de haine, d'amour et de mort (…). Jamais ils ne feront de moi une autre outre mordue, sacrifiée à l'incurie de l'esprit, humiliée par la stupidité, calcinée par la terreur.”
Lien : http://plaisirsacultiver.unb..
Commenter  J’apprécie          20



Ont apprécié cette critique (2)voir plus




{* *}