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Critique de Bouteyalamer


Nous connaissons sans toujours les accepter les obligations morales, religieuses, juridiques ou politiques qui participent au lien social. Mauss postule que le don crée aussi un réseau d'obligations et que ce réseau a tissé des relations de dépendance dans de nombreuses, sinon toutes, les sociétés archaïques. L'homme qui a une surface sociale et spirituelle, une puissance, un honneur, une mana, s'oblige à faire des dons ; ces dons doivent être obligatoirement acceptés par le donataire ; ce dernier s'oblige à une contre-don : On n'a pas le droit de refuser un don, de refuser le potlatch. Agir ainsi c'est manifester qu'on craint d'avoir à rendre, c'est craindre d'être « aplati » tant qu'on n'a pas rendu. En réalité, c'est être « aplati » déjà. C'est « perdre le poids » de son nom (p 53). L'obligation de rendre dignement est impérative. On perd la « face » à jamais si on ne rend pas, ou si on ne détruit pas les valeurs équivalentes (p 53). Don et contre-don engagent la collectivité, ce que Mauss appelle une prestation totale : Il y a prestation totale en ce sens que c'est bien tout le clan qui contracte pour tous, pour tout ce qu'il possède et pour tout ce qu'il fait, par l'intermédiaire de son chef (p 10). Cette prestation totale peut être une destruction sacrificielle : L'un des premiers groupes d'êtres avec lesquels les hommes ont dû contracter et qui par définition étaient là pour contracter avec eux, c'étaient avant tout les esprits des morts et les dieux. En effet, ce sont eux qui sont les véritables propriétaires des choses et des biens du monde. C'est avec eux qu'il était le plus nécessaire d'échanger et le plus dangereux de ne pas échanger […]. La destruction sacrificielle a précisément pour but d'être une donation qui soit nécessairement rendue (p 22). Quand ce réseau d'obligations s'établit entre les hommes, don et contre-don ne relèvent pas du troc, car ils ne sont pas contemporains, ni du prêt, car ils sont dénués de valeur marchande ou parce qu'ils dotés d'une valeur/d'un prestige disproportionnés avec tout échange utilitaire. Ce réseau archaïque est général, retrouvé dans la plupart des études ethnographiques : Les hommes ont su engager leur honneur et leur nom bien avant de savoir signer (p 49). Il survit dans le droit romain. Il persiste au présent dans la politesse, la charité, la solidarité corporative, et dans les milieux de la recherche.
Mauss conclut son essai avec un lyrisme visionnaire : Ce sont nos sociétés d'Occident qui ont, très récemment, fait de l'homme un « animal économique ». Mais nous ne sommes pas encore tous des êtres de ce genre. Dans nos masses et dans nos élites, la dépense pure et irrationnelle est de pratique courante ; elle est encore caractéristique des quelques fossiles de notre noblesse. L'homo oeconomicus n'est pas derrière nous, il est devant nous ; comme l'homme de la morale et du devoir ; comme l'homme de la science et de la raison. L'homme a été très longtemps autre chose ; et il n'y a pas bien longtemps qu'il est une machine, compliquée d'une machine à calculer (p 100). Peut-être, en étudiant ces côtés obscurs de la vie sociale, arrivera-t-on à éclairer un peu la route que doivent prendre nos nations, leur morale en même temps que leur économie (p 101).
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