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Critique de Levant


Jende Jonga et son épouse Neni ont cru au rêve américain. Après beaucoup de sacrifices ils ont rejoint "les lointaines terres des riches" et gagné New York. Ils espèrent y vivre ce que le miroir aux alouettes mondial qu'est devenue la télévision leur a fait briller dans leur ville natale du Cameroun.

On l'aura compris cet ouvrage traite de l'épineux, et toujours douloureux, thème de la migration. Question universelle de tout temps, en tout lieu, pour des personnes qui sont soit chassées de chez elles, soit attirées par des espoirs de vie meilleure, voire tout simplement en quête d'avenir.

Cet ouvrage se démarque toutefois à mon sens de beaucoup d'autres qui traitent du sujet car il le fait avec beaucoup de sincérité, mais est surtout dépourvu de cette sociale-démagogie dans laquelle les médias se complaisent de nos jours, en oubliant leur responsabilité quant à la suggestion des faux espoirs.

Avec Voici venir les rêveurs, Imbolo Mbue, elle-même camerounaise vivant aux Etats-Unis, aborde au travers d'un périple de vie tous les aspects du sujet. Elle nous montre comment notre époque, avec ses formidables moyens de communication et de déplacement, fait désormais se confronter non seulement les cultures, mais aussi les époques peut-on affirmer, puisqu'il faut bien en convenir, tous les peuples du monde ne sont pas parvenus au même stade de maturation de leur développement tant économique que politique et social.

Le membre d'une famille qui a franchi le pas et quitté son pays pour un supposé eldorado devient pour ses proches restés au pays une source de revenus, convaincus qu'ils sont du fait que la réalité est à hauteur des espoirs que tous ont fondés dans cette aventure. Pour l'avoir sans doute vécu, sinon côtoyé de près, Imbolo Mbue connaît bien les tenants et aboutissants du contexte. En témoigne le réalisme dans lequel elle nous y acclimate. Elle sait remarquablement bien mettre en mots les situations, les sentiments qui animent leurs protagonistes, et surtout les spécificités des deux cultures qui se confrontent ici. le terme n'est jamais trop fort quand on parle d'immigration. On apprécie l'analyse qu'elle fait de la famille américaine, trop souvent déstructurée dans la spirale infernale d'un rythme de vie fondé sur la conquête du pouvoir d'achat. On apprécie de même la restitution des persistances de la culture africaine qu'elle image admirablement bien, en particulier le parler africain qui est fort bien passé au travers du crible de la traduction. Cela donne lieu à des échanges de dialogue particulièrement savoureux. Elle se garde toutefois bien de faire l'évaluation de l'une ou l'autre des cultures.

Cette couleur locale du langage qui émaille son récit n'enlève évidemment rien au côté dramatique de la situation pour les personnes qui ont fait le choix de franchir les frontières, d'affronter la clandestinité, avec son inévitable lot de précarité, de mépris peut-être, de rejet souvent, d'exploitation toujours, pour voir le rêve se transformer en cauchemar. Il est évident que les populations les plus fragiles sont celles qui paient le plus lourd tribut aux soubresauts de la vie économique d'un pays. On le vit dans cet ouvrage avec la crise financière de 2007 qui, partie des Etats-Unis, a fait trembler le monde entier.

L'épilogue de cet ouvrage est à lui seul le témoin du pragmatisme, de la lucidité et la sagesse qui ont animé Imbolo Mbué. J'ai sincèrement apprécié son roman, sa morale qu'on n'attend pas au final. Elle a su se démarquer du manichéisme en vogue qui met en scène le gentil pauvre malmené par le vilain riche. Elle restitue à chacun sa sensibilité forgée par sa culture, son éducation, son histoire, sa pratique religieuse. Elle respecte les arguments des uns et des autres et fait une très belle analyse graduelle des états d'âme qui animent Jende et Neni au fur et à mesure que surgissent les difficultés. Les voir faire l'inventaire des solutions les plus extravagantes pour acquérir la fameuse "green card", le graal qui permettra de passer du statut de clandestin à celui de citoyen, est particulièrement touchant. Il est tellement cruel de voir s'éteindre les rêves les uns après les autres. Alors la nostalgie reprend son pouvoir vénéneux quand elle porte à croire que l'on souffre mieux dans son pays d'origine plutôt que sur la terre d'accueil devenue inhospitalière. Oubliées les difficultés qui ont poussé à partir. Reviennent à l'esprit les images des fêtes en famille, de l'animation des marchés locaux, de la ferveur rythmée des offices religieux africains.

Sujet douloureux que celui de cette situation qui fait si souvent l'actualité de nos jours. Il est fort bien traité par cette auteure, parce que dépourvu d'esprit partisan mais traité avec une grande sensibilité objective.

Je remercie Babelio et les éditions Belfond qui m'ont permis de faire connaissance avec cette auteure au travers de ce bel ouvrage. Un premier roman qui laisse augurer un bel avenir éditorial à cette auteure.
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