AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de HordeDuContrevent


« La vérité, c'est qu'au fil du temps, nous nous détournons même de ce qui est né avec nous ».

Cory, à peine 12 ans, désire garder en mémoire son essence, ne jamais oublier qui il était et où il a grandi, garder une trace de la fameuse magie de l'enfance. Alors il écrit. Son récit, touchant et épique, s'étale sur une année, année charnière de passage à l'adolescence, les quatre saisons de l'année 1964, dans cette ville de Zéphyr au sud des États-Unis, au sud de l'Alabama précisément, ville emblématique et personnage principal du livre. Une ville aux rues ombragées de chênes verts, aux portes et fenêtres douillettement bordées de moustiquaires, aux multiples terrains de base-ball et où, lors de la fête nationale du 4 juillet, un grand barbecue et un concours d'écriture sont organisés. Cory Mackinson y coule des jours paisibles avec ses parents, vie rythmée par l'écoulement des saisons et leurs petits plaisirs respectifs, par les rituels qui forgent les grandes amitiés, entre courses à vélo, cinéma, parties de base-ball, longs et chauds étés de liberté, et turpitudes scolaires ; et les face à face parfois sanglants avec les ennemis de toujours auprès desquels avoir la paix se gagne durement…

Sérénité totalement troublée le jour où, alors que l'enfant accompagne à l'aube son père lors de sa tournée de livraison de lait, il est le témoin d'un terrible accident : une voiture plonge dans le lac et engloutit à tout jamais le bolide et son occupant, déjà terriblement mutilé, malgré les efforts désespérés de son père pour tenter de l'en sortir. Cet événement sera traumatique pour le garçon mais aussi pour son père qui sera appelé chaque nuit par cet homme du fond des eaux noires. Qui était-il et pourquoi a-t-il été ainsi sauvagement assassiné ? Telles sont les deux questions qui hantent le père et le fils.

L'intrigue est bien le fil conducteur du livre, Cory va tenter de comprendre, de déduire, de recouper les éléments, mais cette enquête n'est en réalité qu'un prétexte pour découvrir en profondeur la ville de Zéphyr, ses habitants dans leur diversité, leurs habitudes, leur façon de vivre ; pour toucher du doigt les multiples problématiques sociétales, économiques et politiques des années 60 depuis la ségrégation raciale et les menaces du Klu Klux Klan, en passant par l'arrivée des supermarchés qui bousculent tout un ensemble de métiers (et en premier lieu celui de laitier, profession du père de Cory qui va ainsi se retrouver sans emploi), jusqu'à la guerre du Vietnam. Tout est abordé du point de vue de ce jeune garçon au regard frais, innocent, curieux. Tout est abordé à l'aune de cette ambiance des années 60, époque charnière tiraillée entre l'arrivée du rock n'roll et la religion encore bien présente, entre les Bee Gees et la musique Country…

« Je m'éveillai. le jour commençait à se lever. Un coq saluait l'aube. Dans la chambre de mes grands-parents, la radio fredonnait, réglée sur une station de musique country. le son d'une steel guitar qui plane, solitaire, sur des kilomètres de forêts et de prairies, le long d'une route filant dans la nuit, a toujours su toucher mon coeur ».

Le fantastique hante le récit, réenchantant constamment le réel à la manière si solaire qu'a un enfant de découvrir le monde. Mythes et légendes magnifient ce lieu et le dotent d'une couleur surnaturelle faisant vibrer la part féérique en nous qui ne demande qu'à être réactivée. Que ce soit le fait de pouvoir voler, la présence mystérieuse du vieux Moise, le cerf blanc Snowdown qui rôde dans la foret ou la voiture fantôme d'un voyou décédé, chacune des aventures avec ces personnages rêvés, fantasmés, ajoute un aplat de couleur supplémentaire au récit épique et à l'univers graphique de Cory Mackinson.

« Elle était couverte d'écailles en forme de diamants, de la couleur des feuilles d'automne : brun clair, violet brillant, vieil or et fauve. Toutes les nuances de la rivière y étaient, des tourbillons ocre de la boue au rose clair des reflets de la lune sur l'eau. Une forêt de moules et quelques hameçons rouillés s'étaient accrochés à ses flancs que ravinaient les canyons gris d'anciennes blessures. Un corps aussi épais qu'un chêne centenaire tourna sans se presser dans l'eau autour de nous, comme s'il avait tout son temps. Les gémissements terrifiés de Gavin ne diminuaient en rien ma fascination. Je l'avais reconnu. Mon coeur pouvait battre la chamade et mon souffle s'étrangler dans ma gorge, je le trouvais plus beau que tout.
Puis je me souviens du croc dentelé, planté comme une lame dans le morceau de bois de Monsieur Sculley. Beau ou pas, le vieux Moïse venait d'avaler la moitié d'un chien. Et il avait encore faim ».

La structure du récit est faite de façon à ne jamais pouvoir lâcher le livre. Il est structuré en quatre grandes parties correspondent aux quatre saisons, elles-mêmes composées de petits chapitres comme autant de petites aventures, on pourrait même parler de nouvelles mais qui ont toutes un lien entre elles, s'imbriquant avec bonheur, formant un récit haletant.
Véritable page turner, ce livre est très agréable à lire, ce d'autant plus que Cory est très attachant car courageux, juste et humain.

Cerise sur le gâteau, ce livre, publié pour la première fois en 1993 par Albin Michel, a été réédité par l'éditeur Monsieur Toussaint Louverture et, comme pour chacun de ses livres, l'éditeur nous offre pour cette pépite merveilleuse de plus de 600 pages une magnifique couverture.


« Peut-être qu'il était fou. Peut-être qu'on traite de fous ceux qui gardent en eux un peu de la magie qu'ils avaient enfants ».

Une lecture lumineuse et rafraichissante, parfois drôle, parfois tragique, toujours d'une infinie et tendre poésie, sur la fin de l'enfance, sur la fin de cette capacité incroyable à s'émerveiller de choses banales en apparence, de choses du quotidien et que nous, devenus adultes, semblons perdre. Un livre sur l'acte d'écriture comme ultime moyen de sauvegarder cette richesse essentielle et la lecture comme façon de faire vibrer, de nouveau, la magie en nous. Entrelacement entre la vision fantastique de l'enfance et la dure réalité du monde adulte, le récit de Robert McCammon, double de Cory Mackinson, offre une vision complexe et subtile du passage de l'un à l'autre avec brio, ou du moins de la concomitance possible de ces deux mondes. Un réalisme magique de haute voltige !

« le besoin d'écouter des histoires, de se glisser dans d'autres vies, ne serait-ce qu'un instant, est la clé du monde magique qui naît avec nous ».

Commenter  J’apprécie          10841



Ont apprécié cette critique (101)voir plus




{* *}