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Critique de berni_29


Il y a quelqu'un qui nous regarde, Papa.
Oui.
Tu ne me crois pas.
Si mon fils. Je te crois.
Il nous observe de là-haut.
Oui. Je sais.
Au début, je croyais que c'était un oiseau.
Oui.
Il n'y a plus d'oiseaux, n'est-ce pas ? Que dans les livres ?
Oui seulement dans les livres.
Il est au-dessus de nous, il a de grosses lunettes et je vois son doigt qui semble nous poursuivre.
C'est un lecteur. Il suit notre histoire avec ses mains qui vont et viennent sur les pages du livre. À l'endroit où nous marchons.
C'est à cause de lui que nous sommes ici ?
Non, bien sûr.
Tu es vraiment sûr ?
Oui. Il ne faut pas avoir peur.
Tu dis toujours ça.
Je sais.
C'est un gentil ou un méchant ?
Je pense que c'est un gentil, mais il faut toujours se méfier.
Comment tu sais ?
Je le sais. C'est tout.
Il va nous suivre jusqu'au bout de notre périple ?
Sans doute, oui.
Et après ? Que fera-t-il ?
Après ce sera une autre histoire.
Laquelle, Papa ?
Je ne sais pas. La sienne, celle des autres. D'autres histoires.
Alors la nôtre va finir un jour ?
Ça va aller.
Je sais.

La route, roman de Cormac McCarthy, est le périple d'un père et son fils, vers la mer. Plus qu'un périple, c'est une errance, une fuite...
On devine qu'une tragédie universelle hors du commun a eu lieu, ayant dévasté le monde, une sorte d'apocalypse. D'autres humains encore vivants errent parmi la neige et les cendres qui recouvrent le paysage. Parfois ils avancent avec leurs masques à oxygène comme des automates parmi les cadavres, comme des somnambules, comme des zombies surgis d'une histoire horrifique.
Le père et le fils se cachent d'eux, les craignent comme si c'étaient des hordes sauvages livrées à elles-mêmes. Ils continuent inlassablement à pousser un caddie d'objets hétéroclites. Ils sont à la recherche de nourritures pour subvenir à leurs besoins.
Le voyage sera encore long, vers le sud, vers l'océan.
La flore et la faune ont disparu. Parfois au loin on entend un chien aboyer, son cri traverse la nuit.
La vie semble s'être retirée dans l'envers de ce décor devenu sinistre. On sait peu de choses finalement de ce qui vient de se passer, de ce qui se passe, on ne connaît pas les noms des deux fugitifs. En ont-ils seulement un désormais ? Où est la mère ?
On ne connaît rien de la tragédie qui est survenue. C'est le silence apocalyptique qui règne sur ces pages épurées.
Le style est dépouillé, d'une écriture tout en retenue qui laisse deviner plus qu'elle ne dit les choses. C'est le miracle et la force de cette écriture performatrice qui sert à merveille le récit narratif et lui donne tout son sens.
Y a-t-il encore de l'espoir, de la lumière dans ces pages qui déploient des contrées d'une tristesse infinie ? Pourtant ils sont portés sur cette route par un élan qui donne à leur relation une tendresse infinie qui éclaire les mots, les pages, leurs pas.
La fragilité du père et du fils les rend touchants.
Parmi le monde qui s'effondre, c'est un reste d'humanité qui se terre dans cette relation magnifique entre un père et son fils et qui donne à ce livre la lumière qui semble s'être retirée du paysage.
Survivre, avancer, ne jamais renoncer.
Il y a aussi une sorte de dignité, une fatalité dans un cheminement devenu absurde, au milieu d'un monde dévasté, du chaos qu'il en reste, qui donne à cette errance une dimension philosophique.
Ce récit est devenu alors sous mes yeux une sorte d'allégorie.
C'est une odyssée crépusculaire parmi les décombres de la condition humaine, qui dit la vacuité du monde, qui dit la confrontation avec le mal, sans chercher à questionner, affirmant seulement son existence inéluctable.
La forme du texte invite à nous pencher au-dessus de la béance de l'humanité.
Et dans cette errance où peu à peu les rôles du père et du fils s'inversent, dans ce beau geste de la transmission, il y a quelque chose de furieusement christique qui emporte le récit.
J'ai été touché au coeur par ce roman.
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