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Critique de florigny


Biologiste écartelée entre deux continents et les deux codes de vie de ses parents séparés – La Colombie-Britannique où vit son père homme des bois, et l'Australie où vit sa mère policière - Inti dirige dans les Highlands un programme de renaturation destiné à freiner le réchauffement climatique grâce à la réintroduction du loup en milieu naturel. Concomitamment, elle souffre de synesthésie visuo-sensorielle, affection neurologique épuisante qui lui fait éprouver en se glissant dans leur peau, les sensations vécues par les humains ou animaux qu'elle côtoie. Elle vit avec sa soeur jumelle dont elle prend soin, depuis qu'elle est déconnectée du monde après des violences irréparables de la part de son mari qui « l'aimait à mort », prouvant une fois de plus que "l'homme est un loup pour l'homme et un relou pour la femme" (Miss.Tic).


Dans ce second roman, Charlotte McConaghy atteint l'excellence. Avec un talent, un style, une précision et une maturité hors normes, elle entrelace dans la même intrigue des thématiques aussi graves et lourdes que les violences infligées à la planète, les violences infligées aux femmes, en leur accordant la même importance. A partir de ce qui n'aurait pu être qu'un énième appel à la raison ou enfonçage de portes ouvertes pour sauver ce qui reste sauvable, elle crée une histoire déchirante peuplée de personnages complexes, qui tous tentent, à leur manière, de s'en sortir, de se réparer tout en réparant le monde.


Si j'ai apprécié chaque mot de Je pleure encore la beauté du monde, si j'ai apprécié le style envoûtant et poétique de l'auteure, j'ai également été sensible à son aspect pédagogique. Grâce à des explications documentées et simples bien intégrées dans le roman, j'ai enfin compris pourquoi la réintroduction du loup est autant primordiale pour l'avenir commun. L'auteure n'est pas manichéenne, elle ne pratique pas le sentimentalisme niaiseux, mais rapporte des données scientifiques. Elle évoque les conflits qui opposent les biologistes aux éleveurs autochtones, les premiers souhaitant sauver une espèce, les seconds s'érigeant en propriétaires de la terre et du paysage, s'intéressant davantage à leurs revenus qu'à la préservation du bien commun alors qu'ils sont grassement indemnisés si très rarement, l'une de leurs bêtes est attaquée. Au passage, qui a tué l'un d'entre eux, grande gueule, tabasseur et chasseur ?


Enfin, et j'en resterai là, j'ai aimé découvrir la nomenclature de Werner (publiée en 1814) qui relie les mondes animal, végétal et minéral, identiques et uniquement distingués par des nuances de couleurs, que Charlotte McConaghy utilise pour parer le monde de teintes jusqu'alors inconnues : l'orange orpiment et le jaune citron des frelons ; le vert tarin des aulnes, couleur des poires Colmar bien mûres, des pommes Irish Pitcher et de la pierre brillante baptisée torbernite ; le rouge hyacinthe comme les taches de la punaise Lygaeus apterus ou l'orange hollandais comme la crête du roitelet à couronne dorée. Si vous voulez apprendre que le sang frais a la couleur des cerises et de la tête des chardonnerets, Je pleure encore la beauté du monde est fait pour vous. Mais pas uniquement pour ce motif. Un très grand roman sensoriel, beau, émouvant, utile si l'on considère qu'un autre monde est possible. Et nécessaire.
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