AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de SophianeLaby


À Chillicothe, personne ne tient ses promesses. Pas même la rivière. “Elle les avait regardées devenir des femmes dans cette ville d'hommes et d'usines.” Et puis elle les a regardées mourir. Elle a porté leurs corps gonflés de flotte, elle a rempli leurs bouches de sa boue, elle a accroché ses brindilles dans leurs cheveux, elle a chahuté leurs os entre ses rochers. Mais ce n'est pas la rivière qui les a dénudées. Ce n'est pas l'eau qui a fracassé leurs mâchoires, qui a tranché leurs gorges.

Elles avaient des rêves, avant ça. Elles étaient les “Reines de Chillicothe”, ces jeunes filles, parmi lesquelles Arc et Daffy. Des jumelles, chacune un oeil vert, un oeil bleu. “La moitié de la même pomme pourrie.” Elles avaient une grand-mère qui leur tricotait des histoires de sorcières et des couvertures avec un beau côté et un côté sauvage - celui des fils et des noeuds. Un père qui leur racontait que la poussière étouffante de l'usine venait des chevaux qui galopaient sous la terre. Une mère qui clouait les vêtements de son mari mort au-dessus des fenêtres pour habiller le vent - ou pour faire croire qu'il y avait encore un homme à la maison. Une tante qui rafistolait les fissures de son reflet en mettant du ruban adhésif transparent sur le miroir. Des amies qui voyageaient parmi les étoiles grâce à un rouleau de papier toilette devenu télescope. Grâce à la drogue aussi, cette fausse alliée qui troue les vêtements et vole les rêves.

Elles se sont accrochées de toutes leurs forces à ces histoires, Arc et Daffy, malgré leurs matelas pleins de fourmis et leurs dessins à même le sol. Malgré la rivière qui ondule, menaçante, à chaque fin de chapitre, et malgré les araignées qui rampent dans les chambres des petites filles. Et lorsque leur réalité était trop moche, il leur suffisait de se raconter des histoires et de retourner la couverture du bon côté.

Comme Arc et Daffy, le lecteur se laisse attraper lui aussi par la puissance d'évocation de ces récits, comme venus d'une langue oubliée. L'écriture de Tiffany McDaniel est à la fois jeune et ancienne. C'est une écriture qui se souvient et qui déterre, pleine d'une sagesse qui colle aux semelles comme de la boue.
Commenter  J’apprécie          110



Ont apprécié cette critique (11)voir plus




{* *}