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Critique de le_Bison


J'imagine la scène, un hangar désaffecté, vide, froid, humide. Au milieu une chaise en bois massif, un vestige de l'ancienne chambre d'exécution de l'époque où l'état se débarrassait de ses grands délinquants sur la chaise électrique. A coté, une table en formica. Dessus, une tenaille, une massue, une hache, des ciseaux, des pinces et tout un tas d'instruments de torture. Deux caméras me suffisent. Une posée sur un trépied, pour les plans fixes et une seconde mobile dirigée par mon caméraman attitré.

J'imagine les acteurs, deux gros balourds, ex-furieux de catch qui ont une âme insensible, la haine contre tous et qui écoutent du Hard-Rock à donf. Il me faut en plus un type, plutôt genre paumé, plutôt genre ivrogne. Un gars prêt à tout pour 250 $ (et plus après le film). Quelqu'un de totalement désespéré, genre qui cherche ses racines, genre qui n'en peut plus de cette vie de merde et qui ferait ça pour l'argent, pour sa femme, pour ses trois gamins. Tiens, ce Rafael, ivrogne, illettré et peut-être même indien devrait faire l'affaire.

J'imagine le scénario, Rafael attaché sur la chaise, les deux ours lui arrachent les ongles aux ciseaux, lui scarifient le visage avec un couteau de boucher, lui écrasent un oeil avec la massue, lui scient l'annulaire, puis le majeur, lui coupent les couilles avec une vieille paire de ciseaux rouillées. Il va hurler le pauvre type, il va saigner, il va se chier dessus. Et le public derrière son écran va jubiler, va prendre son pied. Ici, tout sera réel, le sang sera du sang, la merde sera de la merde et ces hurlements à la mort… Oui, Rafael, la mort… Oui, c'est ça le « snuffmovie » tel que je le conçois.

Je n'imagine plus rien. J'arrête les Snuffmovies. L'histoire est trop poignante, trop triste. Rafael a l'air d'un bon gars, mais c'est un type que les institutions américaines ont rejeté – tout comme son père et son grand-père – que la population a repoussé jusque dans cette décharge, près de Morgantown, une ville fantôme sans eau, sans électricité, juste quelques caravanes, et des gars comme lui qui y survivent, qui se contentent des poubelles, de la décharge et de la vodka. Ils sont pour la plupart totalement illettrés, n'ont par conséquent pas de job, pas de perspective, pas d'avenir dans ce bas monde. Alors quand Rafael se voit proposé une heure de torture contre une « promesse » d'argent, il n'hésite pas. Il sait qu'il ne survivra pas – tel est le monde des snuffmovies, il sait que sa tête ne vaut pas grand-chose mais si son extrême souffrance, ses cris et sa merde peuvent rapporter suffisamment d'argent pour que sa femme, ses enfants, son père puissent quitter cet endroit mortuaire. Et même si le prix à payer est la mort de Rafael, l'intrépide.

Je n'imagine pas de lecture plus désespérante, plus déchirante, un hurlement qui transperce le coeur. Les pages respirent la peine, suinte la rage, dégouline de vodka. Je ne m'en remettrais peut-être jamais.
Lien : http://leranchsansnom.free.f..
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