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Critique de kuroineko


Livre lu dans le cadre de l'opération Masse Critique de février. Je remercie Babelio de m'avoir sélectionnée et les éditions Calmann-Lévy pour leur envoi.
L'ouvrage est publié dans leur collection Liberté de l'esprit, fondée par Raymond Aron.

Marie Mendras est une politologue travaillant au CNRS et au CERI (Centre de Recherche Internationale). Elle enseigne également à Science Po Paris. Spécialiste de la Russie, je l'ai découverte lors de ses interventions sur France Culture depuis le début de la guerre menée par la Russie contre l'Ukraine en février 2022.

Dans La guerre permanente, l'ultime stratégie du Kremlin, Marie Mendras analyse comment Vladimir Poutine maintient une sorte d'état de guerre permanent et d'autocratisation depuis son arrivée à la tête du pays. Guerre contre des ennemis extérieurs (Tchétchénie, Géorgie, Ukraine, Syrie) et intérieurs (nombre d'opposants qualifiés de terroristes ou de vendus à l'Occident). L'État se retrouve pris dans un carcan obsidional. Faisant corps avec une Russie qu'il fantasme et dont il réécrit l'Histoire, Poutine se voit dès lors comme une forteresse assiégée perpétuellement. Marie Mendras résume parfaitement cela dès son introduction : "La guerre n'est pas un événement extérieur auquel est confronté le pouvoir poutinien, elle est son horizon de principe et son mode de fonctionnement." (page 13). Cependant, le Kremlin recourt à une euphémisation des termes: il ne mène pas des guerres, mais des "opérations spéciales"(Géorgie, Donbass puis totalité de l'Ukraine), mais des "opérations antiterroristes"(Tchétchénie), mais des "forces de maintien de la paix"(Syrie).

Dans ses discours et propos écrits, puisqu'il aime disserter en "historien", le président russe rappelle sans cesse la grandeur de la Russie. La souveraineté et les processus de démocratisation des anciennes républiques soviétiques sont des atteintes directes à l'intégrité russe selon lui. Il convient donc de ramener par le biais d'un dirigeant prorusse (Biélorussie) ou par la force ces zones dissidentes dans le giron (sous le joug) russe. Sans compter l'ennemi lointain et pourtant trop proche: l'Occident corrompu et déchu qui annexe des territoires via l'OTAN.

La politologue démontre les manipulations idéologiques et sémantiques de Poutine pour justifier ses actions militaires, en inversion des réalités. Ce qui correspond à sa vision obsidionale: s'il lance une "opération spéciale", c'est pour préserver l'unité existentielle de la Russie et des Russes, en réponse à une agression. Il ne recherche pas la paix mais l'annéantissement de l'ennemi, au prix des milliers de morts russes.
Dans cette stratégie de guerre permanente, mensonges et désinformation sont des instruments d'endoctrinement autant que des armes contre les ennemis intérieurs et extérieurs une fois de plus. Au risque pour le Kremlin de s'auto-intoxiquer et de s'enfermer dans "sa vérité" fondée sur des discours illogiques.

Dans un premier chapitre, Marie Mendras explicite les concepts autour de la guerre dans le régime poutinien. le second chapitre retrace la place des conflits dans le passé tsariste et soviétique de la Russie et comment l'ensemble forme un héritage toujours présent dans la Fédération actuelle. Ensuite, les chapitres suivants traitent chronologiquement des diverses guerres et conflictualités depuis l'accession au pouvoir de Vladimir Poutine, d'abord comme premier ministre de Eltsine, président par intérim puis président (avec une pirouette institutionnelle avec Dmitri Medvedev en milieu de parcours).

J'ai trouvé la lecture de cet essai très intéressante et instructive. le texte est abordable, même si j'ai apprécié avoir un petit prérequis sur l'Histoire de l'URSS et de la Russie depuis les années 1990. Sinon la chronologie établie par la politologue en fin de volume permet de rafraîchir sa mémoire. de même, les cartes mises en fin de livre se révèlent très utiles pour bien situer les événements retracés.
Quant à la bibliographie, les nombreuses notes de bas de page fournissent quantité de livres et articles permettant d'aller plus loin.

En conclusion, Marie Mendras présente un après guerre en Ukraine avec une Russie défaite. Elle reconnaît l'énorme travail de reconstruction de toutes sortes tant en Ukraine qu'en Russie qu'elle espère débarrassée du régime poutinien. Des jours encore très sombres à venir. Mais elle se veut malgré tout optimiste. Puisse-t-elle voir juste.
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