L'oeuvre du sociologue Raymond Aron est toujours vivante et pertinente. Ses idées tranchaient à son époque. le philosophe a pensé la guerre et les relations internationales à un moment où ce n'était pas en vogue. Son oeuvre permet encore de penser et analyser les relations internationales et le conflit israélo-palestinien. Comment Raymond Aron percevait-il les prémices d'un conflit qui fait toujours l'actualité ?
Pour en parler, Guillaume Erner reçoit :
- Perrine Simon-Nahum, docteure en histoire, directrice de recherches au CNRS et professeure attachée au département de philosophie de l'Ecole normale supérieure
- Jean-Vincent Holeindre, professeur de science politique à l'Université Paris 2 Panthéon-Assas et directeur scientifique de l'IRSEM (Institut de recherche stratégique de l'Ecole militaire)
#guerre #hamas ##israel
_______________
Découvrez tous les invités des Matins dans "France Culture va plus loin" https://www.youtube.com/playlist?list=PLKpTasoeXDroMCMte_GTmH-UaRvUg6aXj ou sur le site https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/l-invite-e-des-matins
Suivez France Culture sur :
Facebook : https://fr-fr.facebook.com/franceculture
Twitter : https://twitter.com/franceculture
Instagram : https://www.instagram.com/franceculture
TikTok : https://www.tiktok.com/@franceculture
Twitch : https://www.twitch.tv/franceculture
+ Lire la suite
Le choix en politique n'est pas entre le bien et le mal, mais entre le préférable et le détestable.
Les hommes font l'histoire mais ils ne savent pas l'histoire qu'ils font.
L'égalitarisme doctrinaire s'efforce vainement de contraindre la nature, biologique et sociale, et il ne parvient pas à l'égalité mais à la tyrannie.
La reconnaissance de l'humanité en tout homme a pour conséquence immédiate la reconnaissance de la pluralité humaine. L'homme est l'être qui parle mais il y a des milliers de langues. Quiconque oublie un des deux termes retombe dans la barbarie.
L'ignorance et la bêtise sont des facteurs considérables de l'Histoire.
Les partis sont des groupements volontaires plus ou moins organisés, qui prétendent, au nom d’une certaine conception de l’intérêt commun et de la société, assurer seuls ou en coalition, les fonctions de gouvernement
"L'homme est un être raisonnable, mais les hommes le sont-ils ?"

J'ai déjà eu l'occasion de manifester mon admiration pour Raymond Aron et son analyse pertinente de nos sociétés contemporaines, à la fois comme philosophie, politologue et sociologue. Qu'on adhère ou non à ses engagements politiques, sa connaissance très fine de Marx, Weber, Sartre ou Clausewitz, alliée à une vision pluridisciplinaire, lui permettent de rester pertinent en 2017. Il y a notamment beaucoup à tirer de cette réflexion de 1958-1959, remaniée en 1965, en appliquant à notre contexte politique, économique, social et institutionnel actuel (Cf à ce propos l'excellent article de Libé : http://www.liberation.fr/debats/2017/07/02/raymond-aron-avait-raison-helas_1581053 ).
La première partie de l'ouvrage reprend une définition de concepts-clés, à commencer par les différents sens de la politique, ainsi que la mise en perspective du lien entre la superstructure que constituent les régimes institutionnels et l'infrastructure économique et sociale, cela dans une perspective historique.
Elle se conclut par un dégagement des principes essentiels, au sens de Montesquieu, du régime démocratique et du régime totalitaire. Le premier se caractériserait par le respect de la légalité et l'esprit de compromis, perdant son essence s'il ne parvient pas à se maintenir entre ces deux principes, basculant soit dans la corruption, soit dans la démagogie, soit dans les deux. Le second repose sur la foi dans le partie, sur la domination idéologique par un parti se disant révolutionnaire. L'ordre social y est alors fondé sur le sentiment d'impuissance des masses, la croyance en un grand dessein, et la peur imposée aux opposants. Aron nuance toutefois le propos en affichant les biais, variantes, espaces d'interprétation possibles entre les régimes réels et ces "modèles".
Les deux chapitres suivant reprennent de manière dialectique oppositions et spécificités de chaque régime, à partir de l'observation sociologique des régimes existants au début des années 60. Quel dommage que R. Aron ne soit plus là pour analyser avec autant de finesse les spécificités et déviances de la Russie de Poutine, de la Chine de XI Jiping, de l'Amérique de Trump ou de la France de Macron, ou des phénonèmes comme l'Etat Islamique.
Il en résulte que l'analyse de R. Aron dans cet ouvrage mériterait une actualisation. De nombreux commentaires et nombre d'explications sont toujours utiles au lecteur pour interpréter l'actualité, mais le système aronien tel que posé est un peu daté. En outre, cet ouvrage présuppose d'avoir intégré -ce qui n'était pas on cas quand je l'ai lu- les fondements de sa pensée. Aussi, il me semble utile au lecteur de lire d'abord son ouvrage sur les Etapes de la Pensée Sociologique, avant celui-ci.

"J'ai fait voir comment chez les nations démocratiques, en temps de paix, la carrière militaire était peu honorée et mal suivie. Cette défaveur publique est un poids qui pèse sur l'esprit de l'armée... Lorsque le guerre, en se prolongeant, a enfin arraché tous les citoyens à leurs travaux paisibles et fait échouer leurs petites entreprises, il arrive que les mêmes passions qui leur faisaient attacher tant de prix à la paix se tournent vers les armes. La guerre, après avoir détruit toutes les industrie, devient elle-même la grande et unique industrie, et c'est vers elle seule que se dirigent alors de toutes parts les ardents et ambitieux désirs que l'égalité a fait naître." La guerre froide a, en une certaine mesure, créé, à l'intérieur des États-Unis, l'équivalent moderne de ce que Tocqueville jugeait inévitable en temps de guerre : la concentration sur les choses militaires des passions populaire. Il subsiste une différence majeure : les fabrications de guerre bien plus que la guerre deviennent la grande industrie. Dans les États-Unis tels qu'ils sont, la permanence d'un vaste appareil de combat, disponible en permanence, devait produire ce que le président Eisenhower appela le complexe militaire-industriel (cf. note 55).
note 55 : Dans son message d'adieu à la nation, le 16 janvier 1961, le président Eisenhower met en garde ses concitoyens contre l'influence croissante du complexe militaro-industriel engendré par la guerre froide : " Notre organisation militaire actuelle a peu à voir avec ce que mes prédécesseurs ont connu. Nous avons été amenés à mettre en place une industrie permanente d'armements d'une vaste ampleur. Cette conjonction d'une immense institution militaire avec une grande industrie d'armements est un fait nouveau dans l'histoire américaine. Son influence en tous domaines, économique, politique, même moral, s'est abattue sur chaque municipalité, sur chaque État, sur chaque département de l'administration fédérale. Dans l'exercice du pouvoir, nous devons empêcher que s'impose cette influence sans garde-fou, qu'elle soit consciente ou non, de la part du complexe militaro-industriel. La possibilité d'ascension funeste d'un pouvoir envahissant existe et demeurera."
Nul besoin même d'insister sur le dépérissement des idéologies : la querelle entre l'Union soviétique et la Chine populaire a aussi des causes et une dimension idéologiques. Le schisme à l'intérieur du monde qui se réclame du marxisme-léninisme confirme l'expérience historique : l'amitié entre États socialiste ne résiste pas plus à l'usure du temps et à la divergence des intérêts que l'amitié entre les États chrétiens. Les interprétations contradictoires de la foi commune servent au moins d'arme diplomatique, à supposer qu'elles n'allument pas les passions.