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Critique de audelagandre


Valentine rencontre François à la fac. C'est une solitaire, à tendance emmerdeuse. Elle est de droite, a de grandes idées philosophiques sur tout et des principes bien arrêtés. « Son âme a faim de tranquillité, elle est lasse de tout. de la dureté de son coeur, de ses intransigeances au sujet de la morale, du divorce, de l'immigration, de ses certitudes et puis aussi, pour faire bonne mesure, de ses doutes qu'elle pense inhérents à sa famille politique. » François lui offre un autre scénario, il est « un être simple, si pratique, sur qui tout passe et qui ne connaît d'autre sentiment que la faim, la fatigue et l'indignation ponctuelle pour toutes sortes de sujets. » Il est l'opposé d'elle, ne fonctionne pas à la masturbation intellectuelle permanente « François a été élevé dans l'idée que la quête ultime d'une vie est le bonheur ».

La première faute c'est la rencontre improbable entre deux êtres que tout sépare, tant ils sont différents et que la vie, par le truchement d'un sort jeté, un peu fou, va réunir. À la fin de leurs études, Valentine fait un choix incompréhensible : travailler pour un journal dont elle ne partage pas les idées, persuadée qu'elle pourra « convaincre certains qui font fausse route ». Une idée singulière pour une femme singulière qui n'effraie pas le moins du monde François qui a l'habitude « Tu dis des trucs absurdes, tu t'emportes pour rien, et j'adore » Ce sera la deuxième faute.

Deux ans plus tard, l'un exerce sa profession, l'autre s'est fait virer et passe son temps le nez collé à une vitre à attendre le retour de son conjoint. La vie s'en mêle, les choses se font sans réelle réflexion, on s'installe, d'appartement en appartement, on prend des décisions n'importe comment, on fait des enfants presque par ennui. Celle qui se retrouve sans boulot, ses grandes certitudes au placard, ne sait plus vraiment qui elle est. Ce qu'elle ressent c'est surtout l'envie de faire payer, à sa moitié, ses propres échecs. Valentine ne supporte pas les femmes enceintes et leurs corps difformes et pourtant, c'est la suite logique d'une vie de couple « standard ». C'est comme si elle avait perdu tout pouvoir sur sa vie, pris aucune décision, laissé les choses se faire au rythme des mauvaises herbes qui poussent dans un jardin en friche. Ainsi naissent 3 enfants, au milieu de ce marasme, de cette stagnation de vie où finalement rien ne se désire vraiment, rien ne se décide, rien ne se planifie.

Ce roman parle du couple et explore deux entités qui n'évoluent pas à la même vitesse. Les succès de l'un affaiblissent l'autre, les désirs de l'un s'axent principalement sur une vengeance intellectuellement absurde, mais intelligible et surtout destructrice. Les écarts se creusent par ce fiel lancinant, dont l'ampleur raréfie l'oxygène. Aux échanges truculents comme celui sur le choix du prénom du premier enfant (« Mayeul, non, mais tu t'entends ? On dirait les familles de Versaillais en cardigans et jupes en lin. Tu veux aussi qu'on l'emmène au catéchisme tous les mercredis et à l'église tous les dimanches ? ») succèdent des instants plus graves où le lecteur, témoin de ce cataclysme annoncé, prédit une fin à la hauteur du caractère singulier de cette femme profondément frustrée qui creuse la tombe de son couple par la force de son ennui. Oui, Valentine s'ennuie et pour pallier à cet ennui qui la ronge, elle s'invente une vie, elle fait semblant, elle est « instable » et « destructurée ». « François comprend qu'il n'y a pas, qu'il n'a jamais eu, d'entente tacite. le repos, la routine, ne sont pas pour elle, elle a des haines inextinguibles, des obsessions de brute, un besoin de se battre. Il faut toujours que quelque chose l'excite profondément, autrement c'est l'ennui et l'ennui c'est la mort. »

La vie joue parfois bien des tours et s'amuse à renverser les situations, à brouiller les cartes, à transformer ce qui paraissait immuable. C'est sans compter l'évolution personnelle de chacun, au fil du temps qui passe, des êtres qui glissent vers d'autres versions d'eux-mêmes. Valentine et François vont l'apprendre à leurs dépens et la lutte qu'ils vont mener pour tenter de faire réapparaître l'être aimé du début de la relation sera sans pitié.

Voici un premier roman qui déstabilise par la force de son propos, qui ébranle la certitude que l'amour est suffisant et peut tout résoudre, qui trouble par la puissance des non-dits. Madeleine Meteyer fait peser sur le texte une tension permanente, une fièvre exaltée mise en lumière par un personnage féminin terriblement vivant, qui veut vivre chaque émotion, chaque pas, chaque jour si intensément que la déception ne peut être que cruelle. La vie « quotidienne » ne ressemble en rien à cette idée de l'étourdissement permanent. En jouant sur les différences, en démontrant à quel point deux individus ne peuvent évoluer à la même vitesse dans un couple, elle creuse l'écart, elle enterre les premières fois et les premiers émois pour laisser place à l'amertume, à la rancune, à la colère, à la jalousie et à ses petites bassesses verbales impossibles à effacer une fois prononcées. Elle révèle avec quelle force on peut épuiser l'autre parce qu'on se déteste soi-même, avec quelle pugnacité on cherche à le détruire, et comment les êtres proches, tels que les amis ou les enfants sont aspirés dans cette spirale infernale.

J'ai aimé ce texte qui fait battre le coeur, qui oblige à se regarder dans le miroir, qui contraint à faire le point sur soi-même et sur l'évolution de son couple. C'est écrit avec une grande justesse, une réelle précision dans les évolutions psychologiques, mais aussi avec tendresse, empathie et attachement pour les personnages. Il n'y a pas de jugement, juste la réflexion d'un cheminement, et les années qui nous traversent….

Lien : https://aude-bouquine.com/20..
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