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Critique de CeCedille


Le titre, "Une enfance de rêve", pourrait être trompeur : pas de cuillère d'argent dans la bouche de la petite Catherine Millet, (prononcer mi-laid, comme lui dit son père). Elle vient d'un milieu tout-petit-bourgeois pauvre, comme tant d'autres, dans la France des prétendues trente glorieuses, pas si glorieuses pour la majorité des gens. Le père est vendeur de voitures. La mère est secrétaire. L'appartement est exigu. le couple ne s'entend pas après le retour de captivité du père. La petite Catherine n'a pas de chance. Le frère meurt dans une accident de voiture. La mère, dont la raison vacille, se défenestre. Le cancer du fumeur emporte le père. Destin douloureux d'une famille, résumé dans un dernier chapitre tranchant comme la guillotine du temps qui passe et emporte tous les proches.
On pourrait craindre l'ennui d'un énième récit d'enfance. Il n'en est rien. Ce qui tire le récit vers la littérature, c'est une sorte de grâce qui transfigure les paysages et les personnages. Le Bois-Colombes des Millet devient le Combray de Marcel Proust ("Ils étaient du coteau, nous étions de la vallée" écrit-elle en écho à son écrivain fétiche). Ce pourrait être aussi - la pluie en moins - la Loire-inférieure des "Champs d'honneur". "Faire de ce milieu de nulle part un lieu mythique" est pour Millet, comme pour Jean Rouault, le coup de baguette magique de la fée littérature. Car il y a un enchantement dans cette reconstruction, à la fois minutieuse et légendaire, des souvenirs d'enfance. La grand mère Jeanne, le docteur van der Stegen sont, sous sa plume, des figures qu'on n'oublie plus.
Un autre trait de cette narration est l'approche dédoublée de l'auteur. Catherine Millet se met en scène à la première personne. Mais le nous vient aussitôt se substituer au je, pour un développement sociologique, éducatif, historique ou analytique sur le comportement des enfants de son âge. Par exemple (p. 254) : "Je mentais... Pourquoi dissimulons-nous...". Cette oscillation du subjectif à l'objectif crée un effet de tremblé dans l'analyse aiguë des frustrations, des émois et des résolutions de cette petite fille singulière qui est en même temps de sa génération et de tous les temps.
Le souci de la petite Catherine est de devenir écrivain. Elle découvre avec fierté qu'elle peut reconnaitre aussitôt Balzac dans un texte anonyme lu à la radio : "je devenais un membre de la confrérie des connaisseurs en littérature"... "En attendant d'avoir une plume, j'avais l'oreille" (p. 243). Elle analyse sa vie dédoublée : "Les imaginatifs de mon espèce marchent à la surface du monde comme sur un anneau de Möbius... ce renversement en continu du réel produit une étrange perception du temps... (p. 253).
Et le miracle se produit, pour cette petite fille qui croit si fort en Dieu : c'est le récit de cet apprentissage si difficile ("c'était un travail de terrassier qui m'attendait" p. 245) qui fait d'elle, d'un trait de plume, l'écrivain qu'elle a toujours rêvé d'être !

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