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Critique de Ogrimoire


Troisième et dernier roman de Hope Mirrlees, publié en 1926, Lud-en-Brume est un curieux livre qui aura eu un curieux parcours. Longtemps négligé – peut-être faut-il y voir la conséquence d'un double handicap, à la fois lié à son appartenance à un genre longtemps confidentiel, même s'il s'est développé bien plus tôt au Royaume-Uni qu'en France ; et du fait, peut-être, de la marginalité de cette auteure, qui semble avoir inspiré certains mouvements d'avant-garde -, il aura fallu que Lin Carter, auteur, éditeur et critique (on le connait notamment pour une étude sur Tolkien, Tolkien : le Maître des anneaux), le réédite en 1970 pour qu'il soit redécouvert.

Bon, c'est bien joli, toute cette histoire, mais, à part cela, que faut-il en penser, de ce Lud-en-Brume ?

Il faut d'abord dire que c'est un livre du XXe siècle. Il me semble qu'on ne l'écrirait plus ainsi. Les descriptions sont copieuses, poétiques, un peu alambiquées parfois. Et dont, au final, je ne sais pas exactement si elles sont positives ou négatives. Je prends un exemple (p. 268) :

« C'était une femme avenante aux joues roses ; elle devait avoir la cinquantaine et aurait visiblement été plus à l'aise dans une prairie au milieu de vaches que dans cette minuscule boutique regorgeant des produits nécessaires à la vie quotidienne d'un petit village. »

Si j'étais cette femme, comment comprendre ce passage ? Que ma place est au milieu des vaches plutôt que dans une boutique ? Et comment devrais-je le prendre ?

Mais c'est aussi une histoire d'une grande modernité, qui met en scène le repli sur soi, la peur de l'autre, le rejet de la différence. Sont également mis en scène les errements d'une révolution bourgeoise qui a renversé la noblesse mais sans forcément construire quelque chose de véritablement robuste à la place. La métaphore des fruits féériques comme drogue, mais surtout l'idée que les arts constituent une forme de refuge face aux difficultés de la vie, et que, à ce titre, ils peuvent constituer une « fuite » ou une « folie », voilà qui est particulièrement intéressant.

Et là reviennent les questions liées au parcours même de Hope Mirrlees. Ces réflexions sur la différence, sur le rejet, sur l'art comme thérapie mais également comme drogue, ne peuvent-elles pas être reliées à l'exclusion probable vécue, à l'époque, par une femme, issue de la grande bourgeoisie anglaise, vivant avec une autre femme, et trouvant dans l'art un échappatoire ?

Tout est paradoxe : l'histoire est intemporellement datée ; elle est d'une complexité simple ; le style est alambiqué sans prétention. Et certains passages sont lumineusement obscurs. Par moment, dans ma lecture, j'ai eu l'impression d'être sous l'influence de ces fruits féériques qui modifient les perceptions…

Et ces qualités mêmes sont les défauts de ce livre, qui nécessite de la part du lecteur d'être prêt à s'abandonner au rythme, au flux. Cartésiens de tous les pays, passez votre chemin ! Rêveurs et poètes, direction la librairie !
Lien : https://ogrimoire.com/2021/0..
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