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Critique de motspourmots


Je comprends la sorte de fascination qui a poussé l'auteur à enquêter sur cette institutrice, placée au coeur du drame de l'histoire par le plus grand des hasards et dont la discrétion et la modestie semblent si incongrus de nos jours, quand les projecteurs se braquent pour un rien sur le moindre anonyme en quête de lumière. Gabrielle Perrier n'a jamais recherché la lumière - pourquoi l'aurait-elle fait, elle n'avait rien d'une héroïne - tout en restant irrémédiablement marquée par le drame d'Izieu dont elle a longtemps enfoui les effets sous un silence digne.

Gabrielle Perrier était, à l'automne1943, une jeune institutrice de 22 ans, débutante et vacataire, surtout préoccupée de son prochain poste, espérant une titularisation ou au moins une mission de quelques mois au lieu des quelques semaines habituelles. Alors quand on lui propose un poste nouvellement créé mais un peu "inhabituel" qui pourrait l'occuper "jusqu'à la fin de la guerre", l'optimisme l'emporte sur les questions. Elle a entendu parler de cette colonie d'Izieu où sont hébergés des enfants de 5 à 17 ans séparés de leurs parents à cause de la guerre. On dit qu'ils sont juifs, mais quelle importance ? Pour Gabrielle, ce sont des enfants comme les autres et elle déploie des efforts importants pour tenter de pallier le manque de moyens attachés à son poste (pas de chauffage dans la salle de classe, pas de cartes de géographie ni de manuels, des fournitures prêtées par les écoles des communes voisines...). Seule avec ses questions, le soutien bienveillant du sous-préfet, de la directrice et de son mari, elle crée pendant quelques mois les conditions d'une vie scolaire normale pour ces enfants déjà marqués par le malheur et la cruauté. Jusqu'au 6 avril 1944.

Ce jour-là, les vacances de printemps viennent de débuter et Gabrielle est rentrée passer quelques jours chez ses parents ; elle n'assistera donc pas à la rafle qu'elle apprendra par une amie alors qu'elle se trouve sur le marché. Une chance, lui diront ses proches, car elle aurait été emmenée elle aussi. Mais pour Gabrielle, c'est le désarroi complet. On n'a jamais vu ça, une classe entière, 44 élèves qui disparaissent d'un coup... du fait de son absence, on l'ignorera, autant que sa douleur. Elle-même se tait car à quel titre se plaindrait-elle, elle n'est ni veuve de guerre ni mère éplorée... Aucun mot n'est prévu pour expliquer son état. Elle se taira donc et vivra, sans jamais trop s'éloigner d'Izieu, sans rater aucune cérémonie de commémoration, discrète, perdue dans l'assemblée. Jusqu'au procès de Klaus Barbie, plus de quarante ans après où son statut de témoin l'autorisera enfin à révéler son rôle, si tenu soit-il, dans l'histoire.

C'est un très bel et émouvant hommage que rend Dominique Missika à cette femme de l'ombre, morte en 2010, et qui aura mis des dizaines d'années à rassembler des éléments de compréhension du terrible drame qu'elle a vécu sans que personne n'y attache beaucoup d'importance. Elle méritait effectivement un petit peu de lumière.
Lien : http://motspourmots.over-blo..
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