L'Ardéchoise

Tout comme ces horloges comtoises à la mécanique bien huilée, l’inusable cycliste possédait la clé à remonter le temps. Il a fini par la perdre au fond du placard d’une maison de retraite où le métronome des vélodromes vivait contraint et reclus, face à la menace d’un virus rejeton de l’Apocalypse. Le balancier est stoppé, la pendule s’est tue. Mais, en Ardèche, il flottera toujours un parfum d’éternité par-dessus les genêts en fleur du mois de juin et les mélèzes du col Robert Marchand.
Ad vitam aeternam : Robert Marchand : 1911 – 2021

Gérard Mistler a inventé L’Ardéchoise à son image. Celle du courage, de la force tranquille, de l’humilité. Celle du plaisir de vivre sur un territoire qu’il avait adopté et lui rappelait ses Vosges natales. Comme Jean Ferrat, il a aimé s’installer sur la montagne ardéchoise pour à la fois s’y isoler d’un monde qui sentait trop le formica, mais aussi s’y rapprocher de vieux et de plus jeunes qui refusaient de quitter un à un leur pays.

L’Ardéchoise n’est pas une épreuve cyclo de plus, comme les autres. C’est d’abord l’invitation à une plongée dans la nature, comme une promenade de rêveurs avec Jean-Jacques Rousseau. Une invitation à la rencontre des autres comme un Jour de Fête avec Jacques Tati. La promenade n’est pas restée solitaire, la tournée du facteur a battu tous les records.

L’enfant de Fréland qui remplissait ses poches de petits pains au lait et de ces biscuits Champagne, spécialités de son papa boulanger avant d’affronter sur son vélo de fortune la rigueur du climat vosgien, possédait cette foi à renverser des montagnes. Il y est parvenu jusqu’au fin fond de ces contrées ardéchoises pourtant réputées rudes et sauvages. Mistler a su en révéler toute la richesse humaine. Un exploit chevaleresque sur son destrier de métal et sans doute le plus beau de tous pour ce Vélocio des temps modernes.

Du plus profond dont je me souvienne, depuis mon premier tricycle, le vélo aura été le fil conducteur de toute mon existence. Jusqu'à la création de L'Ardéchoise, l'aboutissement majuscule d'une vie entière.