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Critique de vibrelivre


L'Ecole des Femmes
Molière
comédie en V actes et en vers 1662
classiques Bordas

La comédie présente un être que sa folie névrotique et son  besoin d'amour conformiste mettent au supplice : le sieur Arnolphe, l'odieux étouffeur d'esprit, d'esprit féminin, faut-il le préciser, pour que sa femme ne le fasse pas porteur de cornes. C'est une entreprise longuement préméditée, il achète alors qu'elle a quatre ans une fillette, Agnès, qu'il enferme par deux fois, dans un couvent et dans une éducation pervertie  qui consiste à la rendre niaise. C'est que l'obsédé du cocuage se façonne une femme, comme si elle était une, sa, chose- comme il se fabrique un nom. Il est seigneur et tient maison, maison d'intolérance. Pas de femme qui se pique d'esprit, pas de serviteurs futés, pas de visiteur mâle, jeune et pétillant.
            On peut replacer la pièce dans le sillage de Me too ou de Balance ton porc . Or ce n'est pas seulement le corps de la femme décrété public ou propriété des  prédateurs longtemps impunissables, dotés qu'ils sont de phallus et de fortune, dont il est question, mais de son esprit qu'on lui confisque à l'instar des Talibans ou d'autres obscurantistes, sans oublier la religion catholique qui a fait de la femme, formée à partir d'une côte d'Adam, un être inférieur, partant à soumettre, et impur, qu'il faut enlever au diable. N'y a-t-il pas des bréviaires où les femmes mariées sont contraintes de lire les maximes concoctées à leur usage par un directeur de conscience,  étiolé par sa religion sans amour ou surtout par l'absence d'une femme à ses côtés- et qui avalisent le pouvoir despotique de l'époux ? Si bien que les accents d'Agnès, qui, pas si bête, reconnaît sa stupidité, sonnent clairement accusateurs contre celui qui interdit son épanouissement, Arnolphe et les autres, ceux du clergé, comme ceux qui ne sont pas si sûrs de la supériorité de leur sexe.
            La maison d'Arnolphe, qui se veut absolu, et qui est effaré d'être comme les autres  cornards qui par-dessus le marché s'en accommodent, mais se pique d'aristocratie, montre, bien que désertée par l'esprit, qu'une place forte n'est jamais si bien gardée qu'elle ne puisse être ouverte par l'ingéniosité de l'homme, à la fois mâle et femme, et qu'à s'entourer de gardiens benêts et couards, mais pas si jobards qu'on le croit, elle devient inaccessible à celui qui l'a érigée. C'est un lieu d'isolement qui serait monstrueux s'il n'avait un balcon. Ses barreaux n'empêchent pas cependant le développement d'une saine intelligence qui permette à Agnès de vivre comme elle l'entend et comme un être humain. Elle sait entendre Horace, et se faire entendre de ce jeune homme décontracté, qui sacrifie tout à ses fantaisies, et qui se découvre un amour sincère pour la jeune femme devant son esprit et son habileté. Il n'en reste pas moins lâche à l'arrivée de son père, et Agnès qui l'admoneste ne lui rend pas ce qu'il n'a pas. Décidément les personnages masculins ne sont pas à leur avantage dans cette pièce.

            Mais Arnolphe, tout odieux qu'il est, émeut. Il implore Agnès de l'aimer, comme si l'amour se commandait, il doit écouter les heurs et malheurs d'un jeunot turbulent qui tourne avec succès autour de sa pupille et lui fait prendre douches chaudes et glacées, il est lâché par ses amis las de lui faire entendre raison.  Arnolphe est suffisant, sûr de lui, il s'éprouve supérieur à tous ceux qu'il croit user de compromis, quand ils veulent jouir des charmes de la vie, de l'élégance des habits et de la conversation des femmes spirituelles. Mais c'est aussi un homme que l'amour domine insensiblement quand il perd, et sent qu'il perd, celle qu'il se gardait pour lui tout seul. 
La scène finale des reconnaissances quasi miraculeuses permet à Horace et à Agnès de former un couple, laissant Arnolphe dans une solitude nourrie d'orgueil. Qui s'enferme dans le jusqu'au boutisme peut réfléchir à la voie du relatif. Cet esseulement témoigne d'une évolution fragile et déjà en marche des moeurs, la femme étant libérée non seulement d'une sujétion mais surtout d'une dépendance contre nature .
           
            Cela fait du bien de revoir ses classiques. Les souvenirs se fortifient, et surtout on voit d'autres choses, rendues plus aiguës peut-être par l'air du temps ou l'âge, et la force toujours jeune du rire.

           
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