AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Lucilou


J'aurai adoré faire partie de la jeune cour du roi-soleil en 1664: pour la robe que j'aurais portée, pour les Plaisirs de l'île enchantée, pour le buffet... et parce que j'aurais pu assister à la toute première représentation de" le Tartuffe" (et serrer la main de Molière!)
Pas dans la version que nous connaissons aujourd'hui, mais dans sa toute première mouture, celle qui sera censurée et interdite après une seule et unique représentation le 12 mai 1664. Celle que nous ne connaîtrons jamais et dont le texte a été partiellement perdue. C'est que Louis XIV, roi de la très pieuse fille aînée de l'Eglise ne pouvait décemment pas laisser se jouer une pièce qui se moquait de l'Eglise et risquait de saper furieusement l'autorité de cette dernière, déjà affaiblie par des dissensions. Entre jansénisme et jésuitisme, le torchon brûle!
Molière aura beau se défendre et défendre sa pièce dans un placet devenu célèbre, il n'aura d'autre choix que de la remanier pour espérer pouvoir la faire représenter à nouveau.
"Tartuffe ou l'hypocrite" devient "Tartuffe ou l'imposteur": version reconstruite, réécrite, réaménagée et sans doute adoucie et attiédie pour être acceptable par le pouvoir et l'Eglise.
Il faudra attendre 1669 pour que "Le Tartuffe" puisse être joué à nouveau devant un public qui ne boude pas son plaisir et lui fasse un triomphe, à faire pâlir les plus noires soutanes. Et il y a de quoi applaudir à cette comédie aussi réjouissante qu'intelligente. Aujourd'hui, on dirait engagée, et aujourd'hui encore "Le Tartuffe" reste d'une éclatante, d'une réjouissante modernité.
Orgon est un homme de cour tout gonflé de sa propre importance mais un rien candide. Lui et sa mère -Madame Pernelle- tombent sous la coupe de l'onctueux Tartuffe, un faux dévot qui s'insinue tant et si bien dans leurs bonnes grâces à grandes rasades de dévotion qu'ils en font leur directeur de conscience. Peu-à-peu, Tartuffe se coule dans le foyer d'Orgon et entreprend de le régenter. Au passage, il se fait offrir en mariage la fille de son hôte (Mais Mariane est déjà promise au beau Valère!) et tente de séduire sa jeune et jolie épouse. C'est sans compter sur la finesse de cette dernière qui a flairé l'hypocrisie et qui n'entend pas rester sans rien faire pendant que le faux dévot tente de plumer son mari. Heureusement qu'elle est là Elmire: seul personnage intelligent dans cette famille d'imbéciles dont le chef se met si obstinément à la botte d'un dévot-gourou de pacotille!
Les personnages sont savoureux, les répliques fusent, l'intrigue file à toute vitesse et on rit, on frémit, on rit encore!
"Le Tartuffe" réunit toutes (où une bonne part) des qualités de Molière: on y trouve les classiques quiproquos parfois poussifs, le comique de gestes et de situations employés presque à outrance -comme en souvenir des grandes heures du Médecin malgré lui- qui demeurent efficaces et qui me font toujours rire même si ce n'est pas à gorge déployée (quoique!).
On y dégote aussi -ce que j'adore- l'intelligence, la clairvoyance des traits décochés avec une précision folle, le sarcasme, les pointes, le second degré qui touchent exactement là où ça fait mal.
Avec "Le Tartuffe", Molière se fait le pourfendeur de l'hypocrisie, mal encore bien plus que répandu, et nous prouve qu'il est encore bien d'actualité. Des Molière, il en faudrait un par siècle!
Et cette hypocrisie qu'il pourfend, il le fait avec brio, avec humour, avec grandeur et panache. Avec engagement. Et tant pis pour les rageux.
Et, c'est cadeau, il le fait dans le velours de la langue classique et dans la bonne humeur.
Merci donc, Monsieur Molière pour ce chef d'oeuvre.

Commenter  J’apprécie          130



Ont apprécié cette critique (13)voir plus




{* *}