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Critique de TheAustenGirl33364


J'ai lu cette pièce il y a plusieurs années, et elle ne m'avait pas laissé un souvenir impérissable. La preuve, lorsque, d'humeur badine, je parcourus ma bibliothèque à la recherche d'une comédie légère et tombai sur cette pièce, je me suis demandée si je l'avais seulement lue, tant l'intrigue m'échappait : je n'avais en mémoire que quelques bribes détachées les unes des autres. J'y ai donc remédié. le verdict ?

J'ai ri. Parce que c'est Molière, un dramaturge que j'aime énormément et que je trouve incroyablement juste _ quoiqu'excessif, parce que caricature comique oblige _ dans sa façon de dépeindre les travers humains, si juste en fait que ses pièces trouvent un écho particulier et familier en nous, lecteurs et lectrices du XXIème siècle et que ses textes peuvent être interprétés en fonction d'enjeux plus modernes, signe de leur richesse et de leur résistance au temps (je pense notamment à l'excellent film "Alceste à bicyclette", qui est une adaptation libre du "Misanthrope", une interprétation moderne qui fait voir cette pièce, que j'ai toujours trouvée plus amère et triste que véritablement drôle, sous un angle très intéressant).

J'ai ri parce que c'est drôle : deux jeunes sottes qui se croient spirituelles et dédaignent leurs prétendants sous prétexte qu'ils ne sont pas assez bien pour elles, deux amants éconduits qui jurent de se venger des deux "pecques" et leur jouent un tour bien pendable pour les ridiculiser, deux valets qui prétendent être nobles, font une cour saugrenue et vulgaire à ces deux oies, trop éblouies par la promesse de faire prochainement partie du "beau monde" pour se rendre compte de la grossièreté de leurs nouveaux amants, valets qui finissent par se prendre des coups de bâton de leurs maîtres, enfin vengés, le tout sous les yeux consternés du patriarche de la famille, père de l'une, oncle de l'autre qui s'exclame qu'elles sont folles lorsqu'elles lui font part de leur désir d'être courtisées de façon extrêmement romanesque et soupire que "la garde de deux filles est une charge un peu trop pesante pour un homme de (s)on âge", sans oublier le talent incontestable de ce cher Molière pour la comédie, tout est réuni pour faire rire, et j'ai ri.

J'ai ri, mais pas tout le temps de bon coeur, parce qu'aussi drôle que fût la situation, aussi sottes que fussent ces deux "beaux esprits" incapables de voir que tout ce qui brille n'est pas d'or... je trouve Molière un peu injuste.

Je sais que cette pièce a été écrite au XVIIème siècle. Je sais qu'on ne peut pas juger selon nos valeurs actuelles un texte qui a été écrit il y a si longtemps, à moins de vouloir jeter à la poubelle plus des trois quarts de notre patrimoine littéraire (chose que je refuse absolument), mais tout de même. Nous paraissent-elles si ridicules que cela aujourd'hui ces deux précieuses ? Certes, elles sont maniérées, pédantes, incapables de distinguer la vulgarité de la beauté si les apparences sont agréables, mais force est de constater qu'on ne peut pas de tout coeur sympathiser avec un vieux barbon qui s'exclame qu'il "veut être maître absolu" et oblige ses protégées à choisir entre un mariage forcé et le couvent (deux réalités féminines peu enviables et pourtant, c'était là la seule alternative), et qu'on ne peut pas condamner fermement une jeune femme qui proteste qu'elle veut se marier par amour, quand bien même sa vision de l'amour nous fait sourire, ni même une autre qui ne veut pas se marier parce que cela la rebute.

D'autre part, Molière a beau s'en être défendu en prétextant qu'il n'attaquait que les dérives de ces salons, il n'en demeure pas moins que cette pièce est une satire acerbe de la préciosité (ou d'une certaine vision de la préciosité, car comme pour tout courant ou toute mode littéraire, on trouve le meilleur comme le pire). Or, si la littérature précieuse nous tombe des mains aujourd'hui (des miennes en tout cas, assurément) et a été fortement décriée pour son caractère parfois pédant et maniéré à outrance, Molière occulte tout un pan de cette littérature qui n'est ni plus ni moins qu'un moyen pour une femme lettrée d'exercer un semblant de contrôle sur sa destinée et de remettre en cause des pratiques sociales qui l'asservissent, jusqu'à refuser le mariage et à revendiquer les vertus du célibat, ce qui, dans un monde coincé entre une caste bourgeoise en quête de reconnaissance sociale qui se traduit souvent par des mariages stratégiques et une sphère aristocratique se complaisant dans ses privilèges et traditions, était une opinion plutôt choquante, et, n'ayons pas peur des mots, une esquisse du féminisme tel qu'il se développera bien plus tard.

J'ai aimé cette pièce. Vraiment. C'est justement parce que je l'ai aimée que je tenais à relever les quelques points qui m'ont fait froncer les sourcils. Mais la littérature, n'est-ce pas justement cette remise en cause perpétuelle de nos certitudes, cet ébranlement constant de nos valeurs qui nous pousse à réfléchir et à nous remettre en question à chaque livre que l'on referme ?
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